J’avais 10 ans et j’entamais ma
dernière année à l’école primaire de la petite commune ou nous habitions avec
mes parents et mon frère. C’était une année particulière pour moi. J’étais
confusément tiraillé entre l’euphorie de faire un pas de plus sur l’échiquier
de ma propre vie, et l’appréhension d’entrer dans une année charnière supposée
me préparer au collège.
Il fallait se préparer à passer du statut de grand
parmi les petits à celui de petit parmi les grands. L’inconnu, redoutable
autant que désirable, était au bout de l’année scolaire. Mais si le CM2 est une
année particulière pour tous elle l’était singulièrement pour moi, puisque pour
la première fois de ma vie (et la dernière) je n’étais plus le seul
représentant de la famille à être élève dans cette école. En effet, mon frère
faisait son entrée en maternelle. J’avais 10 ans et lui 3 ans. Je terminais le
cycle tandis que lui le commençais. Il faut dire que ce n’était pas gagné
d’avance.
Du fait de
son handicap mental, mes parents avaient dû batailler ferme pour que son
inscription soit acceptée. Ils ont finalement eu raison de la réticence du
corps enseignant qui craignait qu’un tel enfant ne perturbe les autres bambins,
mais, à demi mots, leur crainte était surtout de « ne pas savoir »
faire face à la charge d’attention supplémentaire que lui réclamerait
immanquablement Benjamin. « Ne pas savoir », ou « ne pas
pouvoir », ils hésitaient sur la formulation sans pour autant confesser
ouvertement le « ne pas vouloir » que mes parents, dégoûtés,
sentaient suinter des tentatives de justification insupportablement
compatissantes de la direction de l’école. A l’usure, ils ont eu gain de cause
et mon frère a obtenu le droit d’entrer dans le giron institutionnel d’une
école publique sensée être ouverte à tous. Le droit d’aller à la maternelle
communale, comme tous les autres enfants, fut une petite victoire pour mes
parents qui obtenaient là un début de reconnaissance et y voyaient un pas de
plus vers l’intégration d’un fils différent, à une société qui se sentait
vaguement coupable de ne pas trop savoir quoi faire de ce rejeton un peu
encombrant. Il ne serait pas relégué à la maison en attendant d’être placé,
faute de mieux, dans une institution spécialisée. Il serait traité normalement,
comme les autres et parmi les autres. C’est du moins ce qu’espéraient mes
parents. Malheureusement, les problèmes n’ont pas tardés à surgir, et j’ai été
le premier témoin de leur prémices. Si j’avais eu à l’époque le recul
nécessaire, j’aurai compris que la scène a laquelle j’ai assisté ce matin
d’octobre 1985 était un douloureux résumé de ce que représente le handicap,
quelle qu’il soit, dans la conscience des gens. Une chose acceptable tant qu’on
le voit de loin. Une chose tellement gênante si il se montre de trop près, que
l’on se contente de le regarder du coin des yeux en se refusant à le contempler
en face. Dans le meilleur des cas, une chose dont on cache son coupable dégoût
sous une bonne couche de compassion. Et dans le pire des cas, une chose dont on
se moque pour la tenir à distance.
Pendant presque trois ans j’ai travaillé dans ce restaurant de la rue des Lombards. Pendant presque trois ans, j’y ai vécu. J’y suis entré par la petite porte en faisant des extra quelques soirs par semaine. Les «quelques» soirs se sont petit à petit transformés en «tous» les soirs. S’y sont ensuite ajoutés les services du midi. J’y passais plus de temps que chez moi. J’y mangeais, j’y travaillais, il m’est même arrivé d’y dormir. C’est devenu un deuxième chez moi. Tous les gens que j’y côtoyais, une douzaine d’heure par jour, sont devenus comme une deuxième famille.
… Le virage arrivait à toute vitesse. Il n’avait pas le temps de ralentir, et encore moins celui de négocier le virage sur l’engin qu’il ne parvenait pas à contrôler. Pour se préparer au pire, il ferma les yeux et rentra la tête dans les épaules. Tous ses muscles étaient tétanisés, tendus dans l’attente du choc inévitable. La route faisait un angle droit et était bordée de grands fossés herbues ; ça, c’était plutôt une bonne chose. Ce qui l’était moins c’était la présence des orties qui proliféraient à cet endroit. La roue avant du vélo se planta dans la terre du bas coté, et dans une figure toute aérienne, bascula sur lui même en projetant le garçon dans le fossé.
Je ralentis le pas devant les portes vitrées. « Sésame, ouvre toi » me dis-je tout bas. A la longue, c’est devenu comme un TOC. Je ne peux pas m’empêcher de penser à cette formule magique lorsque je me présente devant une porte automatique. Ca remonte à quand j’étais gamin, quand je trouvais drôle de m’imaginer que cette phrase avait le pouvoir de commander l’ouverture des portes. Je ne suis plus un gamin, mais la phrase est restée. La cellule de détection perçoit mon mouvement, les battants transparents glissent silencieusement sur eux mêmes et je pénètre dans le grand hall. Devant moi il y a un guichet d’accueil arrondi derrière lequel trois personnes sont assises. On ne voit que leur tête, le reste du corps étant dissimulé par le haut comptoir gris et blanc. Vu depuis l’entrée on dirait trois têtes posées la, sans corps. A ma droite, il y a la cafétéria, le petit kiosque à journaux et le fleuriste. Dans tous les hôpitaux, il y a toujours une cafétéria, un kiosque à journaux et un fleuriste. Trois commerces qui sont comme des plantes intrépides colonisant un petit bout de cette terre hostile. Trois petits îlots de vie serrés les uns contre les autres comme pour se donner mutuellement la force d’exister. En botanique on appelle ça des plantes pionnières. Elles viennent occuper une niche écologique ingrate que les autres espèces ne prennent même pas la peine d’exploiter, le terrain étant tellement peu propice à la croissance. Ici, à l’instar des plantes pionnières, ces commerces ont fait une force de leur implantation sur une terre inhospitalière. La cafétéria se nourrit du maigre réconfort qu’elle procure au personnel, aux malades et à leurs visiteurs grâce à ses boissons chaudes et à ses gâteaux. Le kiosque à journaux prospère grâce aux livres et revues qui offrent à ceux qui sont retenus dans ces murs un moyen de s’évader un peu. Le fleuriste se repaît de la compassion que veulent exprimer les visiteurs au travers de bouquets multicolores. C’est incroyable la contenance que ça donne d’aller voir quelqu’un allongé dans un lit d’hôpital avec des fleurs à la mains ; ça détourne l’attention de la gêne et de l’angoisse que procure la vision d’un être en position de faiblesse. C’est un prétexte pour pouvoir dire : « Tiens, je t’ai apporté des fleurs pour égayer un peu ta chambre» , ce qui est une phrase préfabriquée servant à meubler le silence et à éviter d’avoir à dire « ce lieu est atroce, j’aimerai mieux être mille fois ailleurs plutôt que d’être la, dans cette chambre qui pue » . De toute façon, la plupart du temps le bouquet finira dans la salle de garde des infirmières, les fleurs étant souvent interdites dans les chambres. Mais cela n’a pas d’importance, les acheter aura au moins servi à se donner bonne conscience.
Je tourne le dos aux boutiques et je passe devant le comptoir d’accueil sans m’arrêter. Il est inutile que l’on m’indique le chemin, Je le connais par cœur. Je continue sur la gauche pour arriver dans une partie du hall ou sont installée cinq rangées d’une dizaine de sièges gris faisant face à des box dans lesquels des fonctionnaires sont chargés de l’admissions des patients. Depuis le temps que je viens ici, je connais la procédure par cœur. Sans hésiter, je me dirige vers le distributeur de ticket, comme à la boucherie. J’ai le numéro 147. En levant les yeux sur le compteur, au dessus des box, je soupire en voyant qu’il indique « 124 ». 23 numéro a attendre, 23 personnes devant moi. J’ai bien fait d’arriver tôt ; par expérience je sais qu’il vaut mieux arriver en avance sur l’heure de son rendez vous. Je vais m’asseoir au dernier rang des sièges pour ne pas être continuellement gêné par les allers et venues et je sors un bouquin de ma poche pour faire passer le temps. Comme à chaque fois, j’essaie de me concentrer sur le texte, mais dans le brouhaha je lis les mots sans les comprendre. Lorsque je me rend compte que je relis la même phrase pour la troisième fois sans en retenir le sens, j’abandonne et je me contente de regarder le spectacle des gens autour de moi en jetant un coup d’œil de temps en temps au compteur qui égrène les numéros.
129. Dans le hall, des personnes en pyjama déambulent, la tête haute. Ils se forcent à se donner un air de dignité exagéré pour compenser leur tenue. Se promener en robe de chambre et en chaussons dans un lieu public est un de mes cauchemar d’enfant récurent. Pour eux, ce cauchemar est réalité, mais ils marchent la tête haute en un air de défi.
130. Sur les sièges, autour de moi une vingtaine de personnes attendent leur tour, leur ticket dans une main et leur carte vitale dans l’autre, ce sésame qui ouvre les porte du temple de la guérison. On attend tous notre tour de voir les prophètes de lareligion médecine.
131. Assis devant moi, il y a un couple accompagnant un enfant dont un œil est bandé. La dame a une soixantaine d’années et tient l’enfant par la main. Les cheveux gris soigneusement permanentés, elle semble petite et frêle dans sa robe à fleurs d’un autre temps. L’homme, grande carcasse robuste un peu voûtée par l’age donne des signes d’impatience en tapotant en rythme ses deux paumes l’une contre l’autre, les coudes en appui sur les genoux. Ils me font penser à mes grand parents.
132. Le ballet des allers et venues continu. Des blouses blanches, des plâtres, des bouquets de fleurs passent dans un sens ou dans l’autre pour rejoindre les grands couloirs qui s’ouvrent de parts et d’autres du hall. Les pas déterminés se mélangent aux pas hésitants de ceux qui ne savant pas trop ou ils doivent se rendre.
133. Le petit garçon, devant moi, se tourne vers la vieille dame et lui demande : « Dis mamie, t’es sur qu’il va me l’enlever aujourd’hui mon pansement le docteur ? ».« oui, normalement, si tout va bien » lui répond-t-elle en lui écartant doucement une mèche de cheveux qui s’était collée à son pansement. La vision de ce geste, de ce simple geste, provoque en moi une curieuse sensation. Tout d’un coup, je ne suis plus assis sur ce siège au métal gris et froid, mais sur une chaise en paille couleur miel, dans la cuisine d’une ferme de la campagne charentaise. En un clin d’œil, je suis transporté vingt ans en arrière. A l’odeur aseptisé du hall de l’hôpital s’est substitué l’odeur de la confiture de cassis en train de cuire lentement sur une cuisinière à bois. L’écho des pas résonnant dans le hall s’est transformé en stridulation de grillons qui me parvient depuis la fenêtre grande ouverte. Et au loin, j’entend le bruit d’un tracteur qui fait des allers et retour dans un champ. Ce geste d’une grand mère écartant une mèche de cheveux agit sur moi comme une madeleine de Proust en faisant remonter du tréfonds de ma mémoire ce même geste qu’avait eu ma propre grand mère il y a vingt ans…
* * *
...« Dis mamie, t’es sur que je peux l’enlever maintenant mon pansement ? ». « oui, normalement, ça ne devrait plus saigner » répondit-elle en écartant du bout des doigts une mèche de cheveux qui descendait sur le front du petit garçon. Il était assis à la table de la cuisine, devant ses livres de coloriage. Sur son genou, un gros pansement rougis par le mercurochrome jurait sur sa peau blanche. Un soleil éclatant faisait entrer des vagues de chaleur dans la cuisine aux murs épais qui maintenaient la pièce dans une douce fraîcheur en ce mois de juillet. Sur le vieux fourneau à bois une grande marmite était posée, le cul léché par de grandes flammes bleutées. Une odeur de cassis et de sucre embaumait l’air en se mêlant à l’odeur de l’herbe fraîchement coupée, venant de dehors. La grand mère était occupée à presser des grains de cassis dans un torchon pour en faire sortir le jus qu’elle faisait couler dans une grande jarre. Régulièrement, elle vidait le tissu des peaux des fruits, peu digestes, dans une cagette. Ses mains était devenues violacées, toutes tachées par le liquide visqueux. C’est la raison pour laquelle elle avaitjuste repoussé du bout des doigts la mèche de cheveux qui tombait dans les yeux de son petit fils, pour ne pas tacher son front. « Enlève le tout seul, j’ai les mains sales » lui dit-elle. Le garçon leva de grands yeux effrayés « Mais je peux pas, je vais me faire mal ! Je préfère que ce soit toi qui le fasse, j’aurai moins mal ». Elle sourit au douillet petit garçon assis à la table. Il avait neuf ans et elle se sentait envahi d’une grande tendresse en le regardant. C’était un garçon déjà grand pour son age, mais, comme une tige qui grandit trop vite, il était assez frêle et paraissait d’autant plus fragile qu’il était d’un caractère très doux et trop réservé. On pouvait le laisser seul sans qu’il s’ennui une seconde, plongé dans ses bouquins et dans son monde imaginaire d’enfant. Elle était contente qu’il vienne passer ses vacances ici, au grand air ; ça ne pouvait que lui faire du bien et ça permettait à ses parents de se consacrer entièrement à son petit frère dont la santé leur donnait bien du soucis. Son regard se voila un peu en pensant à Benjamin, de sept ans le cadet de Fabien. Il allait avoir trois ans le mois prochain, et à la suite d’un accouchement raté il ne serait jamais un enfant comme les autres. Elle se demandait comment Fabien vivait la chose car il n’en parlait jamais. Il ne se plaignait jamais du fait que l’attention de ses parents se concentrait beaucoup plus sur son petit frère handicapé. Est ce qu’il comprenait vraiment qu’il n’en était pas moins aimé pour autant ?
« Bon, alors j’attendrai que tu ai fini, et tu me l’enlèvera après, mon pansement. D’accord ? » . Alors qu’il disait ça, la porte de la cuisine s’ouvrit brutalement en gémissant sur ses gonds et un homme de haute stature et aux larges épaules fit irruption dans la pièce. Il était vêtu d’une combinaison de travail bleue maculée de taches d’herbe et de terre. Sur sa tête, une casquette posée de guingois coiffait une épaisse tignasse noire. Sa grande face burinée était trempé de transpiration qui coulait en rigoles de part et d’autre d’un long nez proéminent. Ce nez, dont la réplique exacte se dessinait sur le visage du petit garçon, était un trait de famille, l’héritage d’un patrimoine qui se transmettait de génération en génération.« ‘tain, fait chaud. » lâcha-t-il dans un soupir en s’affalant sur une chaise. Il reprit sa respiration avant de dire à sa femme: « Ca y est, j’ai finis de tondre le champ. Fils d’chien, j’en ai chié. En un mois ça a poussé à une de ces vitesse… »
- Et tu à tout fait d’une traite… En plein soleil … Regarde moi dans quel état tu t’es mis. Tu vas attraper la crève. Le gronda-t-elle sans conviction.
- Oui m’dame. J’ai tout fait. Maintenant le champ, il est pelé comme le cul d’un canard. Répondit-il en riant.
- Et tu es fier de toi, couillon, Dit-elle d’un ton qu’elle voulait sérieux. Mais elle ne put réprimer un sourire. Oula, qu’est ce que t’es couillon alors. Aller, va changer de tricot, t’as vu comme il est dégueulasse…
- Oui chef, j’y vais tout de suite. Il se leva et se dirigeât vers l’escalier qui menait à l’étage. En passant près du petit garçon, il jeta un coup d’œil à son genou et lança :
- Alors l’estropié, ça va ? Tu crois qu’une si petite écorchure méritait un si gros pansement ?
- Ben ça saignait. Fallait bien ça. Répondit-il en levant les yeux vers son grand père.J’attend que mamie me l’enlève, je crois que c’est guéri maintenant.
- Chochotte va. Tu peux pas le faire tout seul ? L’homme se pencha vers lui et arracha le morceau de sparadrap d’un coup sec. L’enfant poussa un cri, plus de surprise que de douleur.
- Aïe… Tu m’as fait mal.
Le grand père lui donna une petite tape sur la tête et se dirigeât vers l’escalier en riant : « t’en verra d’autres, faut t’y faire »
Fabien, sans rien dire, le regarda disparaître dans les marches en se frottant le genou, une petite grimace sur les lèvres. Il aimait bien son grand père : cet homme trapu et taciturne. Il l’impressionnait en même temps qu’il se sentait proche de lui. Il aimait rester assis à ses cotés tard le soir, dans la cour dont le sol resituait la chaleur du soleil emmagasinée tout au long de la journée. En silence, Il passait des heures près de lui, sur un tabouret, dans la lumière déclinante de ces soirées d’éte, en le regardantfaire de la vannerie. Il était fasciné par ses mains qui pliaient et repliaient les longues tiges d’osier. Elles se croisaient et s’entrelaçaient en un tramage régulier qui faisaient petit à petit apparaître des corbeilles et des panier de toutes les formes. En voyant que ce passe temps intéressait son petit fils, il avait essayé de lui en apprendre les rudiments. Sous le regard bienveillant de la grand mère qui les regardait par la fenêtre de la cuisine en faisant la vaisselle, ils étaient assis côte à côte dans une même posture, l’enfant imitant avec sérieux tous les gestes de son grand père. Il essayait de reproduire les mouvement de ses mains pour soumettre à sa volonté les branches souples. Lorsqu’il n’y arrivait pas, le vieux guidait les gestes de l’enfant. C’est avec fierté, qu’un jour il avait donné à sa grand mère sa première réalisation : un petit panier tout tordu et irrégulier qui trônait depuis sur le buffet de la cuisine, près du gros poste de radio. « Et tu sais combien de tiges d’osier il m’a fallu pour faire ce panier ? » avait-il dit en le lui tendant, un sourire de fierté sur les lèvres. « Il m’en a fallu au moins… »
* * *
… 137. Les chiffres continuent à s’égrener en chiffres rouges sur le compteur au dessus des box. Je soupire d’impatience et je reporte mon attention sur ce gamin et ses grand-parents assis devant moi. C’est incroyable comme ils me font penser aux miens. Une vague de nostalgie m’envahie quand je me souviens des vacances passées dans leur maison, à la campagne. J’ai du mal à faire le lien entre ce petit garçon que j’étais à l’époque et l’homme que je suis devenu aujourd’hui. Lorsque j’étais enfant, est ce que j’essayais de me projeter dans l’avenir ? Est ce que je jouais à m’imaginer ce que je deviendrai vingt ans plus tard ? Je ne m’en souviens pas, mais une chose est sur : jamais je n’aurai pu imaginer tout ce que la vie me réservais, et en particulier ces visites trop régulières aux hôpitaux, qui rythment maintenant ma vie.
138. Je tâte ma poche pour vérifier que je n’ai pas oublié mes médicaments. Sous mes doigts, je sens le petit boîtier qui contient les sept gélules qui constituent le cocktail de molécules que je dois m’enfiler deux fois par jour, à heures fixes. Habituellement, le matin, je les avale vers 8 heures. Aujourd’hui, je les prendrai un peu plus tard, après ma prise de sang et le bilan que je suis venu faire avec mon médecin.
139. Je n’ai rien avalé au petit déjeuné, ce matin. Il faut que je sois à jeun pour mes examens et j’essaie de ne pas faire attention a l’odeur des croissants chauds qui me parviennent par vagues depuis la cafétéria, de l’autre coté du hall. Mon estomac proteste en grognant. J’ai faim…
* * *
…« J’ai plus faim, je peux sortir de table mamie Lili? ». Elle jeta un coup d’œil à l’assiette de son petit fils encore à moitié pleine et fonça les sourcils.
- Tu as presque rien mangé. Protesta-t-elle. Comment veux tu grossir si tu manges rien.
- Mais si, regarde, j’ai mangé toute ma viande. Et puis j’ai plus faim. Je peux aller jouer dehors ? Insista-il en s’appliquant à faire une moue suppliante à laquelle, il ne le savait que trop bien, ne résistait jamais sa grand-mère.
- Aller, file donc. Répondit-elle en cédant tout en n’étant pas dupe de son petit jeu. Et mets un chapeau sur ta tête, cria-t-elle alors que le gamin avait déjà franchi la porte en courrant. Tu vas attraper une insolation avec ce soleil.
Il n’écoutait pas ce qu’elle lui disait. De toute façon, il n’aimait pas mettre de chapeau et il n’était plus un bébé pour devoir porter un espèce de bob ridicule. Il traversa la cour et passa devant la grosse cuve à fioul qui trônait près du mur. C’était un gros cylindre métallique peint en blanc qui reposait sur quatre piedsen acier. Il aimait cette cuve car elle lui faisait penser à un grand cheval sans tête. Il grimpait dessus, à califourchon, et s’imaginait être un cow-boy. Il se faisait son cinéma peuplé de troupeaux de bisons, d’indiens et de cavalcades sans fin aux trousses de bandits de grand chemins qu’il poursuivait afin d’honorer la confiance que la ville avait placé en lui en lui donnant l’étoile de shérif. Mais aujourd’hui il n’avait pas envie de jouer au héros solitaire.
Dépassant le portail qui délimitait la cour, il se dirigeât vers le champ, derrière le potager. Il fallait longer la petite route ou le goudron n’était plus assez épais pour retenir l’ardeur des mauvaises herbes qui le transperçait et sur laquelle presque qu’aucune voiture ne passait, à l’exception de celles des rares habitants du tout petit hameau et celles des gens qui, quelque fois, se perdaient dans ce coin reculé. Pour accéder au champ dans lequel il aimait jouer il devait ensuite suivre un tout petit sentier, en fait, tout juste un passage reconnaissable à l’herbe aplatie par les allers et venus, qui faisait le tour de la ferme jouxtant la maison de ses grand parents. Si il aimait tellement aller jouer dans ce pré, c’est en partie parce qu’il y avait de fortes chances qu’il croise la fille des propriétaires de cette ferme voisine. Elle était sympa, et pour tout dire, elle l’intriguait. Lui qui venait de temps en temps passer des week-end et des vacances ici, il avait du mal à concevoir qu’un enfant de son âge puisse vivre ici tout au long de l’année. Elle était toujours habillée de vieilles robes, parfois trouées, et elle traînait toujours derrière elle cette odeur caractéristique de la ferme : un mélange de foin, de crottin et de feu de bois. Un mélange pas si désagréable une fois que l’on y était habitué. Les parents de Francette - même son nom ne pouvait être portée que dans une ferme au fin fond de la campagne- étaient des petits agriculteurs qui ne ménageaient pas leur peine à exploiter quelques hectares de terre céréalière et un petit troupeau de vache laitières. Il les aimait bien aussi, quoiqu’il ne se sentait pas très à l’aise en leur compagnie : la rusticité de son grand père n’était rien comparée à celle de ces gens la. A coté, il aurait pu passer pour un citadin mondain. Ils étaient gentils, c’était indéniable, mais toute la rudesse et l’âpreté de la terre qu’ils travaillaient depuis toujours semblaient avoir déteints sur eux. Ils appartenaient à la terre, et elle leur imposait de vivre selon ses règles, elle avait façonné leur caractère à son image : dur, mais peu avare de tout ce qu’ils pouvaient donner pour peu que l’on ai la chance d’entrer dans leurs bonnes grâces et qu’on les respecte. Ils avaient accueillis tout d’abord avec circonspection l’installation des grand parents du petit Fabien dans la maison voisine des années auparavant. Ils leurs avaient fallu un temps d’observation avant qu’ils ne fassent connaissance avec ce couple qui n’était pas agriculteurs, comme eux, mais qui travaillaient tous les deux dans une usine textile de production de feutre de la région, que l’automatisation n’avait pas encore débarrassé de la nécessité de compter d’une multitude d’ouvriers dans ses hangars, travaillant à la chaîne, assourdis par le vrombissement des machines et des rotatives. A l’époque, Pierre et Lisette –puisque c’est ainsi qu’il s’appelaient avant de perdre leur prénom au profit de « papi pierrot» et « mamie lili» qu’ils deviendraient bien plus tard, à la naissance de leur premier petit fils-avaient acheté cette maison éloignée de tout pour plusieurs raisons. D’abord à cause du prix ; Ils ne pouvaient pas s’offrir une maison en ville, et ici, ils avaient l’opportunité d’avoir une grande maison bien à eux, avec un grand jardin. Et puis ils avaient eu un coup de cœur pour la tranquillité que leur offrait les champs et le peu de population alentour. Cela tranchait agréablement avec le bruit et l’agitation de l’usine. Ils avaient besoin de ce havre de paix et de silence. Aujourd’hui, des années après l’achat de cette maison, c’était aussi devenu le refuge du petit Fabien pendant ses vacances. Celui la même qui longeait en ce moment la clôture de la ferme voisine en lorgnant du coin de l’œil la grande cour pour voir si Francette était dans le coin. Visiblement, elle n’était pas la. Tant pis, il se contenterait d’aller jouer seul dans le champ.
L’après midi se déroulait paisiblement sous un soleil de plomb qui faisait sortir les grillons de leur trou. Le frottement de leurs pattes l’une contre l’autre produisait un ronronnement entêtant qui montait de tous les coins du champ en même temps. Pour s’occuper il se livra à un de ses jeu favoris, à savoir essayer d’attraper le plus possible de ces grillons. C’est son grand père qui lui avait montré comment faire, un après midi ou ils étaient tous les deux. Il fallait repérer les trous dans le sol et se mettre à quatre pattes, du coté opposé à l’inclinaison que faisait le trou en débouchant à la surface, pour ne pas que le grillon ne voit d’ombre bouger. Ensuite il fallait choisir un grand brin d’herbe ou aller chercher un brin de paille et l’enfoncer dans le trou, délicatement, en faisant un mouvement de va et vient. Le grillon, gêné par la présence de l’herbe, finissait toujours par sortir et il suffisait de l’attraper d’un geste rapide de l’autre main. Avec son grand père, un jour, ils avaient passé toute une partie de l’après midi à s’amuser comme des petits fous au concours de celui qui en attraperai le plus. C’est le patriarche qui avait gagné avecses vingt-et-un grillons qui s’agitaient dans un bocal, Fabien, lui, n’en ayant pris que dix-huit. Ils ont ensuite regardés en riant la foule de petites bestioles qui s’étaient éparpillés sans demander leur reste quand ils les avaient libérés de leur prison de verre. Aujourd’hui, il était bien décidé à battre son record et il se mit sans plus attendre à l’ouvrage.
La langue tirée en une mimique qui traduisait sa concentration, la tête au ras du sol, il s’appliquait à faire aller et venir une paille dans un petit trou avec tellement d’attention qu’il ne vit pas que quelqu’un s’approchait doucement de lui, sans faire de bruit. La première chose qu’il perçu, lui faisant comprendre qu’il n’était pas seul, ce fut la vision de deux sandales à quelques centimètres de ses yeux. Surpris, il leva brusquement les yeux pour découvrir deux jambes menues, puis le bas d’une robe à fleurs, et encore plus haut, tout la haut, le visage d’une petite fille qui le regardait d’un air moqueur. « Alors ? » dit-elle. « Combien qu’t’en a attrapé cette fois, m’sieur grillon ? ». Il répondit avec un grand sourire : « Ben j’en suis à …
* * *
…142. Le souvenir de la Francette me fait sourire. Je crois bien que je n’avais plus jamais repensé à elle depuis cette époque. Pourtant, en y réfléchissant bien, je crois que c’est durant ces vacances chez mes grand parents que s’est joué la prise de conscience de mon homosexualité, grâce à Francette et à Bruno, un autre petit voisin. Et avec tout ce qui s’est passé entre nous trois durant ces deux semaines la.
143. Plus que trois personnes et c’est enfin à mon tour. La première étape administrative va rendre fin. Et ce n’est pas trop tôt car je commence à avoir réellement faim, et je commence à avoir des fourmis dans les jambes à cause de ces sièges inconfortables.
144. Je regarde l’heure. Il est 9H05. Ca y est, je suis en retard sur mon rendez-vous. Ce n’est pas très grave puisqu’en général le médecin ne me prend jamais à l’heure : Il est toujours débordé. Il faut dire que le service du M.I.T (Maladies infectieuses et tropicales) d’un hôpital est beaucoup plus fréquenté qu’on ne le pense. La première fois que je m’y suis rendu, j’ai été effaré de constater le nombre de personne qui le fréquentait, et en majorité pour la même raison que moi. Seulement voila, c’est encore un sujet tabou et la plupart des gens y vont en catimini, priant Dieu de ne jamais croiser quelqu’un de leur connaissance sur le chemin. Plusieurs fois, j’y ai vu des personnes que je connaissais de vue. Ils étaient dans les couloirs de ce service maudis, et la plupart des fois ou je les croisais, ils détournaient le regard en faisant comme si ils ne me reconnaissaient pas. Sur le coup, j’ai trouvé ça ridicule de s’ignorer ainsi. Puisque nous étions la pour la même chose, pour essayer de se battre contre la même saloperie, j’aurai trouvé ça plus réconfortant d’échanger au moins quelques mots. Par bien des aspects la maladieisole, et beaucoup de personnes atteintes s’enfoncent dans un isolement encore plus grand en feignant de ne pas voir qu’autour d’eux il y a aussi des gens concernés, avec qui il serait quand même plus agréable de se serrer les coudes que de jouer l’indifférence. Mais je ne leur jette pas la pierre. Il fût un temps ou moi aussi j’agissais comme ça, et il m’arrive même de le faire encore un peu, parfois. Mais beaucoup moins qu’au début.
145. J’essaie d’allonger mes jambes pour faire passer la crampe que je sens monter. Le numéro 145 tarde à s’avancer vers le box libre. Le préposé qui se trouve derrière attend que quelqu’un se manifeste, et finalement, au moment ou il allait appuyer sur le bouton pour passer au numéro suivant, une femme en fauteuil roulant s’avance vers lui à toute vitesse en marmonnant quelque chose du genre « 145, c’est moi, c’est moi… j’arrive… ». Je vois les roues du fauteuil qui tournent à toute vitesse. Tellement vite que leurs rayons métalliques …
* * *
… en devenaient invisibles à l’œil nu. Le vélo prenait de la vitesse, entraîné par la pente de la petite rue goudronnée qui passait devant la ferme. Le Grand père était posté en haut et regardait son petit fils s’éloigner en prenant de la vitesse. Il se mit alors à hurler : « Les freins… Appuies sur les freins bon Dieu, tu va trop vite… ». Fabien n’entendait rien, assourdis par le vent qui sifflait à ses oreilles. Il était tétanisé par la peur et ne pouvait rien faire d’autre que regarder le bitume défiler de plus en plus vite devant ses yeux. Lui, de toute façon, n’avait pas été très chaud quand son grand père s’était mis en tête de lui apprendre à se servir correctement d’un vélo. « T’as neuf ans bourrique, t’as largement l’age de faire du vélo sans avoir peur. T’es pas une fillette ? ». Plus vexé par cette remarque que par la réelle envie de maîtriser la conduite d’un vélo, il avait relevé le défi de son grand père qui était allé derechef chercher un vieux vélo dans la grange. Il était plein de poussière et la peinture s’écaillait à tel point qu’il fallait le regarder à deux fois avant de constater qu’il avait été bleu. Il avait neuf ans et ne savait pas bien faire du vélo ; ou était le problème ? Il n’aimait pas vraiment la vitesse, et avait un sens de l’équilibre assez douteux. Il s’en fichait un peu puisque de toute façon, en ville, ou il habitais avec ses parents il n’avait que peu l’occasion de se déplacer à vélo. Mais pour l’instant il ne pensait pas à tout ça, il ne pensait à rien. Il regardait juste le virage, au bout de la rue, arriver vers lui de plus en plus vite. Il savait que ça allait mal finir cette histoire. Le vent sifflait de plus en plus fort à ses oreilles.
C’était le jour parfait pour le dire, pensait-il. Le moment idéal. Il ne pouvait pas faire autrement que de ne pas le dire aujourd’hui. Il avait déjà trop attendu. Avant, il n’y pensait même pas, trop occupé à savourer son bonheur. Après, cela aurait pesé sur sa conscience, gâchant tout. Il se serait senti malhonnête. Oui, aujourd’hui c’était le jour parfait pour le dire. Depuis le matin il répétait dans sa tête ces quelques mots. Il répétait silencieusement sa réplique comme un acteur cherchant le bon ton, celui qui s’adapterait le mieux à ce qu’il devait dire et qui finalement se résumait en trois mots. Peut être un ton grave pour en souligner l’importance et le poids ? Ou alors un ton faussement dégagé et léger pour en atténuer la portée et laisser à penser que cela n’avait, au fond, que peu d’importance ? Peut être dire ces trois mots comme ça, de but en blanc ? ou bien les enrober de mille précautions ? A chaque fois les mêmes doutes, les mêmes interrogations. Il n’avait jamais su comment le dire d’une façon idéale.
C’était un beau jour. Devant eux, la mer s’étendait à l’infini. Ils marchaient lentement sur le sable, main dans la main, donnant l’image de deux amoureux. Ils se promenaient en cachant leur mentons pour se protéger du froid, lui dans le col de son manteau et lui dans une écharpe enroulée autour du cou. Ces deux « il » s’étaient rencontrés à peine quelques jours auparavant. Ils apprenaient à se connaître en s’abandonnant avec plaisir aux douces sensations des premiers instants de la passion.
Aucun nuage ne venait souiller un ciel bleu azurin tellement intense et uniforme qu’il aurait été difficile de dire, uniquement en le voyant, si on pouvait le toucher en tendant le bras ou si au contraire il était à des millions de kilomètres. Si près et si loin à la fois, tout comme lui qui bégayait mentalement sa déclaration. Il ne savait toujours pas comment il allait la formuler même à quelques minutes de se lancer. Ce qu’il redoutait le plus une fois la chose lâchée ? Peut être son caractère irréversible. Une fois dite, la chose serait matérialisée. Il essayait de se donner du courage en se répétant : « Aller… vas-y… vas y… dis le… » A chaque fois qu’il était sur le point d’ouvrir la bouche, il renonçait. Une petite défaite de plus. Comme une savonnette, insaisissable, le courage le fuyait au moment même ou il pensait l’avoir bien serré à deux mains. A plusieurs reprises il avait vraiment failli se lancer mais quelque chose venait toujours couper son élan : une bourrasque de vent qui les obligeait à se retourner pour évier que le sable ne leur vole dans les yeux, un chien avec un morceau de bois blanchi par l’eau salé dans la gueule qui les frôlait en courant pour rejoindre son maître, un regard ou un sourire tendre que lui adressait son compagnon en lui serrant la main un peu plus fort. Des petits rien, qui, se conjuguant à l’inconstance de son courage faisaient que la déclaration pourrissait un peu plus sur le bout de sa langue.
C’était une histoire banale que celle de cette rencontre. Tous les jours, aux quatre coins de la planète, il en naissait beaucoup des histoires comme celle ci. Seule la forme de la rencontre change un peu : une rencontre en boite de nuit ou dans un bar, une rencontre programmée par l’intermédiaire d’un site de rencontre sur le net, une rencontre au supermarché au détour du rayon adoucissant et du rayon surgelé, une rencontre sur son lieu de travail. Il en existe de toutes les formes et de toutes les couleurs, des rencontres. Mais ce qui ne change jamais, c’est ce premier regard échangé, ce premier petit frémissement que l’on sent au fond de soi quelque part entre le cœur et le bassin, ce sentiment de voir quelqu’un pour la première fois et de ne plus rien voir d’autre autour. Ca, ça ne change jamais.
Entre ces deux garçons qui se promenaient sur la plage, c’est comme ça que ça s’est passé. Entre le premier regard et cette ballade il s’était écoulé à peine quelques jours qui leur avait parus aussi bref qu’un claquement de doigts. Tout occupés qu’il étaient à leur découverte mutuelle rythmée par les assauts répètes de leurs sens exacerbés, le temps n’avait pas eu d’importance. Toujours est-il qu’aujourd’hui ils avaient décidés d’aller s’aérer un peu et de marcher le long de la plage encore emmitouflée dans ses oripeaux d’hiver. C’est beau aussi une plage en Janvier. Et c’est ce moment de calme qu’il avait choisi pour faire sa déclaration. Non pas qu’il n’y ait pas pensé avant. Au contraire, il ne pensais qu’a ça. Il avait été tiraillé entre son désir de l’enfouir très profondément pour pouvoir savourer pleinement chaque seconde de la passion naissante, et sa culpabilité de voir qu’a chaque seconde qui passait était une seconde de plus ou il ne l’avait pas dit. Après toutes ses expériences il savait pourtant qu’il n’y avait pas de moment idéal pour en parler, il y avait juste une réaction idéale a attendre. En espérant qu’elle soit idéale ou même qu’il y en ait une. Et soudain, les premiers mots sont sortis, presque par surprise.
Lui : - J’ai quelque chose à te dire.
lui : - Oui ?
Lui : - Tu sais… je me sens vraiment bien avec toi… et…
lui : - Oh, moi aussi je me sens vraiment bien avec toi. Tu ne peux pas savoir à quel point…
Lui : - Justement…voilà… je… il faut que je te dise… tu dois savoir quelque chose…
Tout ce qu’il redoutait était en train d’arriver. Il allait le dire de travers. Il le savait rien qu’en entendant les premiers mots imprécis sortir de sa bouche. Son ton n’était ni grave, ni détaché. Il ne dirait pas « les trois mots » de but en blanc. Il ne les enroberait même pas de précaution. Il les enrobait juste de la maladresse dans laquelle il s’embourbait. Avec désespoir et impuissance Il s’entendait parler et se résigna à laisser son flot de parole aller jusqu'à son terme: le bouquet final d’ou sortiraient inévitablement « les trois mots ».
Lui : - voilà… on se connaît depuis quelque jours… tu… je… enfin tu me plais beaucoup mais tu dois savoir quelque chose… voilà… enfin, si après ce que je te dis, tu ne veux plus me revoir, je comprendrais parce que… enfin oui, c’est vrai j’aurai du t’en parler tout de suite, mais je n’ai pas pu… c’est pas évident… enfin bref, voilà. C’est pas non plus dramatique, mais c’est important. Et donc si ce que je te dis la… et puis merde voilà : je suis séropositif.
Ca y est, « les trois mots » étaient lâchés. Avec anxiété il guettait la moindre trace de réaction sur le visage de son compagnon de quelques jours à peine. Il savait par expérience qu’il n’y a pas de moment idéal pour avouer une chose pareil. Il faut juste sentir que c’est le bon moment et essayer de le dire simplement. Essayer. Au cours des aventures qu’il a eu depuis qu’il se sait séropositif il a essayé toutes les méthodes possibles, et il a eu toutes les réactions possibles sans qu’il y ait de cause à effet entre les deux. Il lui est arrivé de le dire tout de suite, juste après le premier regard. Il lui est arrivé de le dire juste avant de faire l’amour pour la première fois. Ou parfois juste après. Il lui est arrivé de le dire le lendemain, ou dans les jours qui ont suivis. Il lui est même arrivé de ne pas le dire du tout au vue de la brièveté de la relation. Mais il a toujours protégé l’autre en imposant une capote même quand ça ne semblait pas aller de soi à son partenaire. Son expérience en matière d’annonce de sa séropositivité lui a appris que la réaction de l’autre n’est jamais prévisible quelque soit le moment ou l’aveu est fait. C’est ce qui le terrifiait le plus à vrai dire : Ne pas pouvoir prévoir. Par le passé, alors qu’il se sentait en confiance quant à une éventuelle réaction, il lui était arrivé de se heurter à un rejet d’une telle puissance qu’il en gardait un goût amer. La déception et la douleur entamait sa confiance en lui. Et quand il se résignait à essuyer un nouveau rejet, il lui était arrivé de trouver deux bras tendus qui se moquaient éperdument de son virus. C’est pourquoi il scrutait avec appréhension le visage de celui dont il était tombé amoureux pour y guetter le moindre signe du verdict qu’appelait sa déclaration. Il essayait de ne pas laisser paraître son angoisse. Tout ce qu’il voulait aujourd’hui, sur cette plage, c’est qu’on ne le repousse pas pour « ça ». Qu’on lui laisse le temps d’expliquer qu’après tout, son virus était calme depuis longtemps, qu’Il lui avait fallu du temps pour le maîtriser et l’apprivoiser, mais qu’il y était parvenu. Jusqu'à quand, ça, personne ne le savait. Peu lui importait puisqu’au jour d’aujourd’hui il en était maître. Et qu’on lui laisse aussi le temps d’expliquer que bizarrement c’est une marque d’amour que de dire « je suis séropositif » à quelqu’un avec qui on se sent bien. Que ce sont trois mots qui lui écorchent la gueule mais qui constituent une étape à franchir avant d’en dire trois autres, beaucoup plus romantiques. Que ce sont trois mots, qui, même si en apparence n’ont rien à voir avec « je t’aime » n’en constituent pas moins un aveu en forme de déclaration d’amour. Et que finalement, tous les « Je t’aime » du monde viendront tout seul après et ils n’en seront que plus lourds de sens. Voilà tout ce qu’il attendait de dire mais avant d’arriver à toutes ces explications il fallait qu’on lui donne un signe lui indiquant qu’on ne lui tournait pas le dos.
La plage était presque déserte. Il faut dire qu’en janvier il fait toujours un peu froid. Pourtant c’était le jour idéal, juste le jour idéal. Au loin, deux joggeurs courraient le long du rivage.
Le lendemain il a attendu le coup de téléphone de celui qu’il avait rencontré quelques jours plus tôt. Le jour d’après aussi. Tout les autres jours de la semaine aussi. Et puis il a arrêté d’attendre car il savait très bien qu’il attendait pour rien. On ne lutte pas avec la peur provoquée par ces "trois mots", aussi irraisonnée soit-elle. Il ne voulait pas la juger. Il s’y refusait. Après tout, comment aurait-il réagit si la situation avait été à l’inverse ? Il a tourné la page. Il est passé à autre chose en maudissant le prochain jour idéal auquel il ne pourrait jamais échapper.
Ce grand dadais, qui attend et redoute tout à la fois son prochain jour idéal, est-il utile que je vous précise pourquoi je connais si bien ses pensées ? Toute cette histoire ne fait que raconter une de mes histoires manquée, a cause d’un bout de plastique qui un jour, il y a longtemps, m’a manqué…
Bonjour. Me voilà de retour. Pour ceux qui me connaissent pas, je suis Ben. Mon frère, Fabien, il a 7 ans de plus que moi et c'est lui qui écrit tout ce qu'il y a dans ce journal sur internet. Il a d'ailleurs raconté ici l'épisode de ma venue au monde. Et il m'a dit un jour que ce serait pas mal si c'était moi qui racontais de temps en temps quelques histoires que j'ai vécu. Il m'a dit que si c'était moi qui les racontais, avec mon point de vue, ce serait plus intéressant que si c'était lui qui le faisait. Alors après une première histoire, en voilà une autre.
Un jour, j’avais 21 ans. Ca fait pas si longtemps que ça en fait. C’était pas l’été dernier mais encore celui d’avant. Et à ce moment la, il est arrivé un drame dans la famille. Un truc que franchement je souhaite à personne, même pas à Jean-sébastien, un des éducateurs de mon C.A.T ou je travaille depuis plus d’un an. Jean-sébastien il arrête pas de gueuler tout le temps. Moi, je l’aime pas trop, rapport au fait qu’il arrête pas de gueuler tout le temps, même quand on a rien fait. Quand on s’amuse à faire un morpion géant en faisant des croix avec la boue de nos chaussures sur le carrelage de la salle commune qu’on dirait une feuille à carreaux géante (sans la marge rouge bien sûr), la, je dis pas, il peut gueuler. Mais même quand on a rien fait, il gueule quand même. Je crois bien que je l’ai jamais vu rigoler. Un jour, y’a même Véro, une autre éducatrice (pour les filles on dit éducatrice et pas éducateuse comme pour coiffeur ou chauffeur) qui lui a dit que ça lui ferait du bien de tirer un coup de temps en temps, que ça le calmerai et que ça ferait des vacances à tout le monde. « Tirer un coup ». c’est vrai que c’est marrant et ça défoule, mais de la à dire que ça fait du bien… Nous avec les copains du C .A.T on le fait de temps en temps, mais pour de faux. On a des pistolets en plastique et on se tire des coup dessus pour de rire, comme dans les films. Ca nous défoule. Mais personnellement, je vois pas trop Jean-sébastien faire ça. Enfin bref, Jean-sébastien je l’aime pas trop.
Pourquoi je parlais de lui déjà ? Ha oui, rapport au drame qui est arrivé et que je lui souhaite même pas. C’est toujours comme ça, je commence à raconter une histoire et après, de fil dans l’aiguille je ne me rappelle plus du début tellement j’ai les idées qui partent un peu de tous les cotés. Faut pas m’en vouloir, hein ? Je vais essayer de rester dans l’histoire, promis.
Cet été la, donc, mon frère était venu passer quelques temps à la maison. C’est la période ou il était pas très en forme et ou il a écrit une lettre à papa et maman. Je sais pas ce qu’il y avait dedans parce que je l’ai pas lue mais ça devait être un truc important vu que ça a tourneboulé mes parents et que c’est la seule fois ou je les ai entendu dire « on t’aime » à mon frère avec des yeux tout mouillés.
Enfin bref, c’était à cette période la, et plus particulièrement un soir. Je vais pas vous faire le suspense comme dans les séries à la télé ou y’a la pub qui arrive pile au moment ou la tension est dans les combles. L’histoire, je le dis tout de suite, ça concerne mon chien, Jasper.
Jasper, je l’ai depuis que je suis petit, c’est à dire des milliards d’années même si tout le monde arrêtes pas de me dire que je suis toujours petit et que je le resterai longtemps. Il est sympa comme chien, je l’aime bien et il me fais trop rigoler. Qu’est ce qu’il est con. Surtout quand il fait comme ça avec sa patte. Je peux pas trop l’expliquer avec des mots, avec des images vous comprendriez mieux mais faites moi confiance quand je vous dis que quand il fait comme ça avec sa patte il a l’air con. Attention, c’est pas une insulte parce que quand je dis qu’il a l’air con, c’est vrai qu’il a l’air con mais je l’aime bien, et comme je l’aime bien, c’est pas une insulte, c’est affectif.
Ce jour la, il voulait pas jouer avec moi. Je croyais qu’il faisait la tête pour un truc que j’aurai fais, mais non. Et puis il a vomi plusieurs fois. La première fois, je l’ai vu faire, et c’était sur le tapis du salon. Putain, c’était dégeu. Mais comme je voulais pas que maman lui file une rouste, j’ai pris mon courage dans mes mains, et son vomi aussi, pour nettoyer et pour pas que ça se voit. Comme ça, ni vu ni connu y’avait plus de trace à part une petite marque jaune que maman elle remarquerai pas. Mais il a recommencé a vomir, et la je pouvais plus le cacher. Je lui ai pourtant dis « Ho la la, tu va te faire engueuler à vomir partout comme ça », mais vu qu’il comprend jamais rien de ce qu’on lui raconte, il a continué. Au début, maman l’a enguirlandé, comme je l’avais dis, mais au bout d’un moment, comme ça faisait au moins dix mille fois qu’il vomissait et qu’il voulait plus trop bouger de son panier (à part pour vomir sur le tapis), elle s’est quand même un peu inquiétée. C’était pas normal. Le soir, quand papa est rentré de son travail, jasper il allait pas mieux alors maman et Fabien ont décidés de l’emmener chez le docteur. Enfin, chez le vétérinaire, qui est aussi un docteur mais pour les animaux, c’est à part. Les vétérinaires ils sont plus forts que les docteurs normaux, ça je peux t’le dire. Quand tu va voir un docteur normal, tu dis ou t’as mal et il te donne un médicament qui te guérit pile à cet endroit la, tandis qu’un chien il peut pas dire ou il à mal et le vétérinaire doit être vachement plus fort pour trouver d’ou ça vient et le guérir. C’est pour ça que je comprend pas trop pourquoi nous on continue d’aller chez le docteur normal alors que le vétérinaire il est vachement plus fort.
Enfin bref, revenons à saute mouton, ou a jasper plus précisément. Maman a pris le chien dans ses bras pour l’emmener à la voiture, Fabien a pris le volant et ils sont partis. Moi, je suis resté derrière la fenêtre pour les regarder partir. Il pleuvait. J’étais quand même inquiet et je pouvais pas bouger de derrière la baie vitrée. J’avais décidé d’attendre leur retour ici mais mon père m’a passé la main dans les cheveux en me disant « T’inquiètes pas mon bonhomme. C’est sûrement rien du tout. Il a du manger un truc qu’il digère pas, comme la dernière fois. Le Vétérinaire va lui donner quelque chose et ça ira mieux. Reste pas planté la » Ca m’a un peu rassuré. j’ai remis mes cheveux en place vu que mon père arrêtes pas de faire ce truc qui m’énerve de me décoiffer de la main quand il me dit quelque chose, et je suis allé regarder la télé en m’installant dans le coin du canapé d’ou je peux quand même surveiller l’allée mouillée à travers la vitre. Comme ça je ne pourrai pas louper le retour de Jasper.
C’était long, super long même. Il a bien du se passer mille heures avant que les phares de la voiture franchissent l’allée. C’est bien simple, il faisait nuit, et j’ai eu le temps de regarder un DVD en entier. Enfin quand je dis regarder, c’est pas vraiment ça, vu que j’avais plus souvent les yeux fixés sur la fenêtre que sur la télé. De toute façon, mes DVD, je les connais tous par cœur, je les ai déjà vus un million de fois.
Quand j’ai vu la voiture arriver, je me suis précipité à la porte pour aller accueillir jasper et savoir ce qu’il avait encore pu manger comme saleté pour le faire vomir comme ça. La dernière fois, il avait bouffé une taupe morte depuis des millénaires qu’il avait trouvé dans le jardin. En ouvrant la porte, j’ai vu mon frère et ma mère descendre de voiture mais le chien il est pas descendu. Il devait être caché entre les sièges comme d’habitude. Il est chiant quand il fait ça parce qu’il veut pas sortir, et il reste la super longtemps. Sûrement qu’il voulait jouer à cache-cache, et comme en plus ce soir il pleuvait, ça devait encore moins lui donner envie de sortir de la voiture. Mon frère faisait une drôle de tête quand il est entré, et ma mère c’était pas mieux, elle avait même des tout petits yeux tout rouges. Ils m’ont rien dit quand je leur ai demandé : « Alors, qu’est ce qu’il avait mangé de dégoûtant jasper ? » Fabien est allé vers mon père et lui a dit un truc tout bas que je n’ai pas entendu. Il a fait une tête bizarre et s’est rassis aussi sec sur son fauteuil. Moi, je tenais toujours la poignée de la porte « He ho, alors, c’était quoi qu’il avait jasper » que j’ai redemandé. Ma mère trifouillait dans son sac à main comme si elle avait perdu quelque chose qu’elle retrouvait pas et elle m’a même pas entendu alors qu’elle était à deux mètres de moi. Mon frère s’est assit à son tour dans un fauteuil et m’a regardé avec un drôle d’air. J’étais toujours à la porte, en train de tenir la poignée pour qu’elle se referme pas. « Bon, alors… Il avait quoi Jasper ? » que j’ai redis d’un ton plus fort et un peu énervé. C’est vrai ça, c’était énervant, imaginez vous debout en train de tenir une porte ouverte en attendant que votre chien rentre et qu’en face de vous vous avez votre père et votre frère assis en train de vous regarder bizarrement et votre mère le dos tourné à la table qui n’en finissait pas de trifouiller dans son sac à main. Et tout ça dans le silence, pas un mot. « Bonnnnnn, il avait quoi jasper ? diiiites ? » . Silence. « Bon, d’accord, je vais le chercher dans la voiture si c’est comme ça. » que j’ai finis par dire. « Attends, reste la » que j’ai entendu dire par mon père dans mon dos alors que j’allais sortir. Je me suis retourné et j’ai attendu en restant la. Mais il a rien dit. C’est ma mère qui s’est retournée pour s’approcher de moi, et j’ai eu un coup dans le cœur parce qu’elle pleurait à moitié. « Je suis désolé mon chéri, mais Jasper était très malade, et le vétérinaire a été obligé de lui faire une piqûre pour qu’il s’endorme… » . Du coup, j’ai compris que si il dormait, c’était normal qu’il sorte pas de la voiture tout seul, mais je comprenait pas pourquoi ça faisait pleurer ma mère. Non, ça, je comprenais pas. «si il dort faut aller le sortir de la voiture, il va avoir froid non ? » que j’ai demandé. Et la, mon père m’a dit la phrase. Celle qui a provoqué dans ma tête comme une tempête, un truc que je peux pas expliquer avec des mots tellement c’était… tellement c’était… Voilà, je peux pas le dire avec des mots. Parce que peut être ils existent pas pour L’ expliquer, ou si ils existent, je les connaissaient pas vu que c’était la première fois que je ressentais Ca, dans tout mon corps. Cette phrase c’était : « Benjy, ce que maman essaie de t’expliquer, c’est que Jasper est mort. ».
A ce moment j’ai commencé à avoir très chaud, super chaud. Je suis devenu immobile, je pouvais plus bouger, comme si harry potter m’avait lancé le sort du « irmobilis pertirfictus » (ou un truc comme ça), sauf que la, le sort, c’était la phrase que mon père m’a dite. Et en même temps que mon corps pouvait plus bouger, je croyais, dans ma tête, que je tombais en tournant comme une toupie. Je finissais pas de tomber dans un trou qu’aurait pas eu de fond. Je tombais, je tombais, je tombais… Et puis, je sais pas ce qui s’est passé, je me suis retrouvé dehors, sous la pluie. J’étais en train de faire le tour de la voiture en pleurant et en criant « Jasper, jasper, t’es la ? hein, t’es la ? ». Je criais en m’agrippant aux portes de la voiture pour essayer de les ouvrir. Je courais d’un coté et de l’autre en collant ma tête sur les vitres pour voir dedans. J’y voyais rien à cause de la pluie et des larmes qui me mouillaient la figure. « Jasper, Jasper ». Je tremblais super fort, c’est les nerfs. Parce que vous voyez, à cause du problème que j’ai depuis que je suis né, je suis obligé de prendre tout un tas de médicaments pour mes nerfs et pour essayer de faire croire à tout le monde que je suis presque normal. Sans ces médicaments, je contrôle pas mes émotions. Et la, à cause du sort que m’avait jeté mon père avec La phrase, les médicaments ils faisaient plus d’effets. Je contrôlais plus rien du tout. Je criais en tremblant, et puis j’étais tout mouillé à cause de la pluie. « Jasper, non… non… non… j’veux paaaaaas… » . La, les souvenirs sont brouillés. Je sais que mes parents et mon frère sont sortis pour essayer de me rattraper, ils me courraient après mais je m’en foutais. Moi je continuais à trembler et à hurler en faisant le tour de la voiture. J’ai eu une douleur dans le bras quand maman me l’a serré. « Arrêtes ben, arrêtes... calme toi... » qu’elle me criait en me secouant comme un prunier. J’étais en plein dans une crise de nerf, et dans ces cas la faut être fort pour me calmer. « Calme toi s’il te plais… s’il te plais… » . J’ai fini par me calmer un peu. Je tremblais toujours comme une feuille mais c’était maintenant surtout à cause de la pluie qui m’avait donné un froid glacial dans tout le corps. J’ai regardé ma mère qu’était aussi mouillée que moi, mon père et mon frère qui étaient la aussi. « C’est vrai qu’il est mort Jasper ? » que j’ai dis d’une voix pas très forte parce qu’ après ma crise j’avais tellement perdu mon énergie que je pouvais même plus parler normalement. « Oui, c’est vrai. Aller, viens, on rentre » qu’elle m’a dit doucement. J’ai suivi comme une marionnette. On m’a mis sous la douche pour que je finisse de me calmer. Pendant que je mettais mon pyjama vert à rayures j’ai pas pu me retenir de demander « Comment il est mort Jasper ? » . Si j’ai bien compris ce que m’a expliqué ma mère, c’est parce que il avait une sorte de crabe qui s’est installé dans son estomac. Le crabe, c’est une maladie invisible, mais quand tu le sens, c’est que c’est trop tard. Le crabe a finit par se multiplier et des petits crabes sont partis un peu partout dans son corps. Chez le vétérinaire, il a arrêté de respirer. Le docteur lui a fait une piqûre pour le réveiller, mais il était tellement fatigué que ça lui faisait trop mal. Alors il a eu une autre piqûre, mais l’inverse de l’autre. Celle la c’était pour qu’il s’endorme pour toujours : c’est ça la mort.
Après, il m’est venu une interrogation. Je me demande pourquoi j’ai pas pensé à ça plus tôt. Sûrement l’émotion. Alors, quand j’ai demandé « ou c’est qu’il est maintenant Jasper ? », ma mère m’a répondu qu’ils l’avaient ramené dans une couverture et que mon père venait de le mettre dans l’ancien garage qui est maintenant un « salon d’été » « en attendant demain qu’on l’enterre dans le jardin ». J’ai eu un autre coup dans le cœur en apprenant ça. Entendre que Jasper était mort c’était une chose, c’était que des mots, mais savoir qu’il était la, c’était plus que des mots, c’était son corps mort en chair et en os. « Je veux le voir » que j’ai dis comme ça. J’ai même pas réfléchis à ce que je disais, c’est sorti tout seul. Je croyais que ma mère allait dire non, mais elle m’a regardé sans rien dire. Si j’avais eu des oreilles supersoniques comme superman, je cois bien que j’aurai pu entendre le crrrr-crr-crrrrrrrr de ses pensées qui tournaient dans sa tête comme le bruit de notre ordinateur quand on fait un clic et qu’il réfléchi avant de donner une réponse. « Si tu es vraiment sûr que tu veux le voir, d’accord, tu peux » qu’elle a finit par me dire. Moi, j’étais pas vraiment sur de vouloir, mais je sentais qu’il fallait que je le vois. Avec mon cœur qui tapait comme un dingue j’ai traversé le couloir dans mon pyjama vert à rayures pour aller dans l’ancien garage qu’est maintenant un « salon d’été ». Quand je suis entré, il y avait mon frère qui était la. J’ai regardé tout autour de moi, et j’ai fini par le voir, dans un coin, par terre. Il y avait une couverture enroulée qui faisait une grosse bosse et je savais qu’il y avait Jasper dedans. Je me suis mis à genoux devant et j’ai attendu en regardant la grosse bosse qui bougeait pas. Mon frère s’est approché et lentement, il a ouvert la couverture. J’en pouvais plus tellement mon cœur tapait fort, et j’avais la respiration qui allait de plus en plus vite et qui faisait de plus en plus de bruit, comme si j’avais de moins en moins d’air. Et je l’ai vu… C’était assez bizarre. C’était lui, c’était son poil tout noir, ses oreilles toutes pointues, sa queue toute tordue, sa pattes toute épaisse qui faisait plus « comme ça » vu qu’il bougeait plus. C’était lui, mais en même temps, je le reconnaissait pas. Ca ressemblait plus à une peluche comme celles qu’il y a sur mon lit. J’ai eu l’émotion qu’est monté et j’ai pas pu m’empêcher d’avoir des larmes. Je me suis mis à lui parler tout haut, comme si il pouvait m’entendre. « Pourquoi t’es parti ? pourquoi tu m’as laissé tout seul ? t’es méchant, tu penses qu’a toi. ». Je le pensais pas vraiment, mais c’est sorti tout seul. En fait, j’en voulais plus au vétérinaire qui était pas si fort que ça parce qu’il avait pas soigné Jasper. Il devait le guérir et il l’a pas fait. J’en voulais aussi à mon père qui m’avait dit de pas m’inquiéter, que c’était pas grave et qu’on allait le soigner. Si les grands mentent et peuvent même pas empêcher la mort de Jasper, alors à quoi ça sert ? J’avais des larmes partout sur la figure et je les ai essuyé avec mes doigts pour continuer à y voir. En voyant mes mains, j’ai tout d’un coup pensé à mes super pouvoirs. Je tremblais un peu et sans trop savoir pourquoi, j’ai posé mes mains sur lui comme si en faisant ça je pouvais lui donner un bout de ma vie et le faire revivre. Sous son poil, sa peau était bizarre. C’était pas pareil qu’avant, plus froid, plus dur, plus mort. J’avais plus de super pouvoirs parce qu’il s’est rien passé du tout. Il a pas voulu bouger. « t’es méchant » que j’ai redis en reniflant a cause de mon nez qui coulait. Mon frère m’a dit alors doucement « non Ben, tu sais très bien qu’il est pas méchant. Ce n’est pas de sa faute, il était malade et personne n’y peut rien. C’est comme ça. C’était un gentil chien. Tu te rappelle comme il était gentil ? Ne lui en veux pas » Apres, il a doucement replié la couverture sur le corps. « Aller, il faut que tu ailles te coucher maintenant. Demain matin, on ira tous ensemble l’enterrer si tu veux bien. »
Je me suis relevé, j’avais mal aux genoux à cause du carrelage, et je suis parti dans ma chambre sans dire un mot. J’avais rien à dire de plus. J’étais triste c’est tout. En passant près du bar de la cuisine, je l’ai frôlé de trop près. Dessus y’a pleins de bibelots. Y’avait un vase qu’était trop près du bord et du coup il est tombé et il s‘est cassé en plein de petits morceaux devant mes pieds. Ma mère est venue très vite en faisant des grands pas rapides pour voir ce qui s’était passé. « Qu’est ce qui s’est passé ?… Tu m’as fait peur… » J’ai dis que j’avais fais tombé le vase sans faire exprès. Elle m’a même pas engueulé. Ce qui est bien quand on vit un drame pareil, la mort, c’est que les bêtises qu’on fait à ce moment la, ça a pas d’importance. « Ho… c’est pas grave mon chéri, je vais ramasser tout ça, t’en fait pas. File vite te coucher Benjy. ». C’est ce que j’ai fais. Mais ce que j’avais pas dis, c’est que le vase, j’avais fais exprès de le faire tomber. Oui oui, j’ai fais exprès parce que je voulais pas être gentil, je voulais pas être sage, parce que Jasper, vu que c’était un gentil chien, il est mort quand même. Et si tous ceux qui sont sages et gentil meurent, je voulais pas mourir en étant trop sage et gentil moi aussi. En faisant des bêtises, peut être que je mourrait plus tard, et si j’en faisais assez, peut être que je mourrais jamais.
Le matin d’après, je me suis levé de bonne heure. C’était un grand jour. Le jour de l’enterrement de Jasper. J’ai pris une douche en frottant bien partout pour être vraiment propre, j’ai lavé mes dents pendant trois minutes en regardant le petit sablier qui compte le temps exact qu’il faut pour se laver les dents pour qu’elles brillent et pour pas que j’aille chez le dentiste, J’ai peigné mes cheveux comme il faut pour qu’ils soient tous rangés dans le même sens, c’est important. Et j’ai mis des vêtement : un slip noir, puis deux chaussettes blanches en faisant bien attention de les remonter toutes les deux exactement au même niveau, puis un t-shirt propre (j’ai choisi le noir avec des bord blanc pour faire l’hommage à Jasper qui était tout noir avec quelques poils blancs sur les pattes et sur les oreilles), puis un pantalon, propre aussi, en faisant attention de rentrer tout le tour du t-shirt dedans, puis j’étais prêt. Je suis sorti dehors, et je suis monté dans le champs qui est derrière la maison, tout en haut du champs, la haut, près du petit bois. Mon père qui était debout bien avant moi avait déjà fait un grand trou près du vieux mur en pierre qui sépare le champs du bois. Il a fait un trou à coté de plusieurs petites bosses de terre. Faut dire qu’à cet endroit la, c’est notre cimetière. C’est la que sont enterrés d’autres animaux dont je me souviens pas vu que j’étais trop petit ou pas encore né. Il y a Billy, le chien de mon frère, Youki, le chien de mes parents, Minette, un chat qu’avait ma mère, et je crois bien qu’il doit aussi y avoir un lapin et des poissons rouges, mais je suis pas sur.
Ca a été un moment très triste. Un enterrement, c’est toujours comme ça. C’est la ou on dit au revoir à celui qui est mort. On était tous les quatre autour du trou, c’est moi qui ai insisté pour qu’on soit tous la. Il y a même ma grand mère qui est venu. Mes grands parents habitent la maison d’a coté de chez nous, c’est nos voisins. Y’a même pas de barrière entre les jardins parce qu’on est de la même famille. Mamie Lili est venu aussi parce qu’elle aimait bien Jasper, il allait souvent chez elle et elle lui donnait toujours des gâteaux ou des trucs à grignoter. Elle aussi elle était triste et elle est venu faire l’hommage en étant la à l’enterrement. J’ai voulu faire un discours quand on a mis Jasper dans le trou, parce que c’est comme ça qu’il faut faire. J’ai dis : « Au revoir Jasper » et j’ai rien dit d’autre, ça suffisait. De toute façon, j’aurai pas pu dire plus vu que j’ai senti que les larmes commençaient à remonter.
La mort, c’est quand quelqu’un qu’on aime est plus la. Un jour, il est la, il vit à coté de nous, et puis le lendemain, il est plus la, il est parti, pour toujours. Et même le jour d’après toujours, il y a encore un jour de plus ou il est plus la. Ca laisse un trou dans la vie de ceux qui vivent autour, sans lui. La mort, c’est égoïste. Parce qu’on pleure. On pleure plus pour soi que pour celui qui est parti. Parce que celui qui est mort il en a plus rien a faire vu qu’il est mort. On pleure pour soi, parce que tout d’un coup il nous manque quelque chose qu’on savait pas que c’était si important. C’est pour ça que je comprend pas certaines choses. Si on est triste parce qu’on voit plus celui qui est parti et qu’il nous manque, pourquoi est ce que les grand pleurent aussi quand ils vont à l’enterrement de quelqu’un qu’ils voyaient jamais ? Il ne leur manque pas, vu que même avant qu’il soit mort, ils ne le voyaient pas plus. C’est à ça que je pensais pendant que papa il rebouchait le trou. Ca me faisait penser au jour ou on a appris la mort d’un vieux oncle de ma famille que personne voyait jamais. On était à son enterrement, et il y avait plein de gens qui pleuraient et je comprenais pas pourquoi. Il ne pouvait pas leur manquer vu que si il était pas mort, ils ne l’auraient pas plus vu. Bon, je sais pas si je suis clair, mais moi je me comprend.
Voilà, ça s’est passé comme ça. Après que le trou a été rebouché, tout le monde est reparti. Moi, je suis resté un peu, assis dans l’herbe, histoire d’être encore un peu la avec lui. Et quand j’ai eu le cul tout trempé à cause de l’herbe mouillé, je suis rentré à la maison pour changer de pantalon et regarder un DVD.
Pas longtemps après, mais pas tout de suite quand même, mes parents m’ont fait une surprise. Ils m’ont emmené dans un endroit ou il y avait plein de chiens de toutes les sortes et de toutes les couleurs et ils m’ont dit avec un grand sourire « Va y Ben, choisi en un». Whaou, j’étais super content vous pouvez même pas imaginer. J’ai fini par choisir un petit chien marron avec des grands poils. On l’a appelé voyou. Il est sympa, je l’aime bien. Et vous savez quoi ? il fait aussi comme ça avec sa patte. Qu’est ce qu’il a l’air con quand il fait comme ça avec sa patte. Vous pouvez toujours pas vous rendre compte comme ça, mais faites moi confiance quand je vous dis qu’il a l’air con, et c’est toujours pas une insulte, c’est affectif. L’après midi, on a été jouer dans le jardin, et je lui ai dis « Tu sais, avant, il y a des millions d’années, j’avais un autre chien. Il s’appelait Jasper. Toi, tu peux pas le remplacer parce que on peut pas remplacer les gens qu’on aime, mais je t’aime bien quand même, t’inquiète pas pour ça ». il a pas du comprendre ce que je disais vu qu’un chien ça comprend jamais rien, mais il a aboyé pour me faire plaisir et pour faire semblant qu’il avait compris. Et après, je l’ai emmené jouer dans le champs, la haut, près du petit bois, près du cimetière de la famille. En passant, j’ai fais coucou à ma grand-mère qui était dans le jardin en train d’étendre du linge. Elle est gentille mamie Lili, je l’adore, mais j’aimerai bien qu’elle casse un vase de temps en temps. Histoire qu’elle arrête d’être trop gentille. Je sais pas trop pourquoi je pensais à ça d’ailleurs, pourquoi je pensais que j’aimerai bien qu’elle soit pas si gentille…
Voilà, les drames comme j’en ai vécu avec Jasper, ça arrive qu’une fois dans la vie parce que c’est trop dur.
C’est l’histoire d’une petite rencontre que j’ai faite il y a quelques années déjà, alors que je travaillais dans un restaurant de la rue des Lombards. Pour ne pas le citer je dirai tout simplement qu’il se trouvait et se trouve toujours du coté de la place saint opportune, entre une brasserie et un bar-restaurant gay et en face d’un bar gay. Toujours pour ne pas le citer je l’appellerai « Capitaine » en référence à un jeu de mot vaseux avec le vrai nom. J’y avais été engagé en 1999 alors que je débarquais de ma province, et j’en étais parti en 2002 en claquant la porte. Entre les deux, pendant ces presque trois années je suis passé d’extra à directeur adjoint au fil de différents contrats : CDI a mi-temps, CDI a plein temps, responsable de salle, et enfin directeur adjoint.
A l’époque, a 23 ans, découvrant cette capitale dans laquelle je venais d’emménager avec mon copain je me suis vite rendu compte que pour pouvoir succomber à ses charmes et profiter de tous ses attraits, cette vie et cette ville réclamaient que je trouve un boulot même si, en tant qu’étudiant, j’avais la chance de bénéficier d’un peu d’aide de la part de mes parents. Malgré la multitude de boulots que j’avais déjà fait, je n’avais jamais vraiment eu d’expérience dans la restauration, mais je me lançais dans cette voie ou, à Paris, sans être trop regardant sur le salaire et les horaires de travail, on trouve un job dans la journée
Lorsque je me présentais au « capitaine » j’ai été engagé au bout d’un quart d’heure bien que l’équipe de salle ne soit alors constituée que de serveuses. La politique de la maison était qu’une serveuse attire plus le client qu’un serveur. Seulement, le quartier étant très fréquenté par une population d’homo, le directeur jugeait attractif pour cette clientèle d’avoir au moins un « mâle » dans l’équipe. Je fus donc embauché non sur une expérience que je n’avais pas, mais sur mon physique et le fait que « j’en étais », chose dont je ne m’étais pas caché en disant que je vivais avec un garçon. J’étais une « potentielle source d’attraction dans la stratégie marketing de séduction d’une cible de clientèle ayant une forte potentialité dans le quartier ». Mais au fond, peu m’importais car j’avais décroché un boulot en un quart d’heure.
J’ai commencé par faire des extra plusieurs fois par semaine, le soir. J’ai appris à être un serveur. Je le faisais bien, si bien que l’on me proposait de plus en plus de services à faire. Et quand un jour, Morgane, la serveuse attitré des services du midi est tombée malade, le patron m’a proposé en plus de mes soir de la remplacer. Une de mes tâche avant ce premier service du midi que j’effectuais était de ranger la terrasse. Il fallait que j’aligne les tables et les chaises que l’homme de ménage avait sorti n’importe comment juste avant que je n’arrive. A peine arrivé, et les yeux encore bouffis de sommeil après une trop courte nuit, je m’attelais donc à cette occupation hautement intéressante et enthousiasmante lorsque je me rendis compte qu’il manquait une chaise.
- Putain, marmonnais-je à haute voix, Il en manque une. Y’a un connard qu’a rien de mieux à foutre que de piquer des chaises…
Une voix qui me fit sursauter s’éleva alors dans mon dos.
- On te l’a pas volée ta chaise. T’inquiète pas pour elle, y’a mon cul qui la garde, et je peux te dire qu’elle est bien gardée.
Je me retournais, cherchant des yeux qui avait parlé. C’est alors que je découvris une femme, effectivement assise sur la chaise manquante qu’elle avait installée devant la porte de l’immeuble qui jouxtait le restaurant. Je ne l’avais pas remarquée avant car elle était en partie cachée par une des jardinières qui entouraient la terrasse. Je restai sans voix, contemplant ce morceau de femme dont l’attitude et l’accoutrement ne laissaient aucune place au doute quant à son métier : le plus vieux du monde dit-on. La poitrine emprisonnée menaçait à tout moment de faire céder un corsage trop tendu sur une peau blanche qui émergeait de tout coté. Sur sa tête était fiché un chapeau désuet à fanfreluches d’ou s’échappaient des mèches de cheveux trop jaunes pour être naturellement blonds. Cette impression d’artifice était renforcée par de fins sourcils noirs qui surplombaient en accent circonflexe une face au sourire moqueur. J’ai compris bien plus tard que cet air hautain et suffisant qui se dégageait d’elle n’était qu’une façade, seule arme qui lui était donnée pour rester digne face à une société qui naviguait à son endroit entre répulsion et attirance. Des rides qu’accentuaient les ombres d’une jeunesse lointaine sculptaient un visage affaissé aux yeux clairs rehaussés par un maquillage trop appuyé. Emergeantes d’une jupe trop courte deux jambes charnues gainées de bas à grosses mailles étaient négligemment croisées. Elles m’évoquaient une trop grosse prise gonflant un filet de pêche jusqu’au point de rupture. Une fine cigarette se consumait en volutes mentholées, emmanchée sur un porte-cigarette tenu fermement entre les deux doigts d’une main que l’âge commençait perceptiblement à tâcher et à flétrir.
- Ben alors mon lapin, dit-elle, reste pas planté comme ça la bouche ouverte. On dirai qu’t’as vu la vierge, et je peux te certifier que c’est pas la cas.
- Pardon, bredouillais-je, je ne vous avais pas vu, vous m’avez surpris.
- Tu m’avais pas vu ? c’est bien la première fois que j’passe inaperçue. Pourtant avec tout le mal que j’me donne… Mais y’a pas de mal. T’es nouveau toi ? Elle est pas la la p’tite Morgane ?
- Non, elle est pas la, elle est malade, je la remplace… Et je suis pas nouveau, rajoutais-je, je travaille ici depuis deux mois, mais uniquement le soir.
- Ah, c’est pour ça que je ne t’avais jamais vu, dit elle en me lorgnant de la tête aux pieds. Moi, je bosse plus que la journée. Travailler le soir ça fait un bail que j’ai arrêté, trop vielle pour ça même si c’est clair que j’aurai plus de clients la nuit. Comme on dit, la nuit tous les chats sont gris. Elle partit d’un gros rire granuleux avant de reprendre. Dans la pénombre je serai sûrement plus attrayante, mais que veux tu, à mon age, on s’embourgeoise. Je laisse la nuit aux jeunettes.
Bouche bée devant ce personnage je ne sus que répondre à sa tirade, pas même une banalité. Sans s’offusquer de mon mutisme, elle repris :
- Et pour la chaise, t‘inquiète pas, je l’emprunte tous les jours et je la remet en place avant le service. La p’tite Morgane a l’habitude et les patrons sont au courant. Ils ont pitié de mes pauvres jambes faut croire. Le pavé, ça use. Ce disant, elle me fit un petit clin d’œil de connivence. Et l’après midi re belote, quand je suis crevé, je reprend la chaise et elle retrouve sa place avant le service du soir. Je range…
Ne trouvant toujours rien à répondre, je ne pus que bredouiller quelques mots du genre : « Ha, très bien… oui, bien sur. Vous avez bien raison madame. Ca gène personne en effet… Je… bon, ben… je vous laisse, je retourne bosser… »
- C’est ça, file bosser mon lapin… Et au fait, moi c’est michèle, mais tout le monde m’appelle mimiche, rapport à mes arguments de travail ajouta elle en se tapotant la poitrine pour me montrer ou se situaient ses fameux arguments. Je te dis ça parce que vu qu’on va être amenés à se recroiser ce serait bien que t‘arrête de m’appeler madame. C’est pas que ça flatte pas, mais j’ai plus l’habitude de ces civilités. A l’avenir tu m’appellera Michèle, ou mimiche, comme tu le sens. C’est compris ?
- Compris mad… michèle. Dis-je en me reprenant avant de rajouter. Et moi, c’est fabien.
- Ok mon lapin, fit-elle en éclatant de rire. Mais ton nom, je le retiendrai jamais. T’en offusque pas. C’est pas par manque de respect ou quoi, mais je vois tellement de monde dans la journée que j’ai renoncé à retenir tous les noms. Je t’appellerai comme tout le monde mon lapin, mon canard ou mon biquet, c’est selon l’humeur animalière du moment. Et puis, même si je me souviens pas de ton nom, je me souviendrai de toi. Les mignonnes frimousses, je m’en souviens toujours. Ce disant, elle me fit un clin d’œil qu’elle voulait aguicheur.
Je lui répondit d’un petit sourire gêné et mis fin à la conversation qui m’avait mis en retard.
- J’y vais, le boulot ne va pas se faire tout seul. Au revoir « Madame Michèle » à bientôt.
Je l’entendis s’esclaffer dans mon dos tandis que j’entrais dans le restaurant.
- « Madame Michèle », et en plus y se fout de ma gueule le minaud.
Le service se passa sans que j’ai le temps de m’arrêter une seconde pour penser à cette rencontre. En quittant l’établissement, vers 15 heures, je jetais un coup d’œil vers le pas de porte ou officiait « la mimiche » mais elle n’était plus la, sûrement occupée avec un client.
Comme elle me l’avait annoncé, nous avons été conduits à nous voir souvent par la suite, presque tous les jours en fait puisque j’ai rapidement été amené à travailler le midi en plus de mes services du soir. Chaque matin c’était un échange de banalités sur le temps, et sur nos activités respectives. Au fil du temps, j’ai appris à la connaître et à apprécier son cynisme enrobé de vulgarité étudiée. Au fur et a mesure de nos petites conversations j’appris qu’elle avait 52 ans et que cela faisait plus de 30 ans qu’elle tapinait pour vivre, que depuis plus de 15 ans elle occupait un petit studio dans l’immeuble qui faisait office à la fois d’appartement et de « bureau » pour ses affaires. Elle me faisait vraiment marrer avec ses allusions au fait que finalement on faisait le même métier elle et moi : on était la pour rendre un service à un client, et pour ce faire, l’attirer chez nous et pas chez le voisin en jouant de séduction. C’était au fond assez vrai pensais-je avec un sourire en me remémorant le pourquoi de mon embauche : attirer la clientèle. Elle poussait la comparaison à me demander chaque jour si on avait fait beaucoup de clients la veille, et quand je lui disais que la journée avait été calme, elle me répondait : « mouais, moi aussi ça a été calme, comme quoi tu vois mon biquet, tout est lié : le cul et la bouffe . y’a pas de mystère c’est ça qui mène le monde ». De temps en temps elle se lâchait et partait dans des analyses géopolitiques de la prostitution :
« Tu vois, je suis une espèce en vois de disparition. Des filles comme moi y’en a plus. Les vieilles de Saint-Denis, on se compte sur les doigts de la main et on est à peu près toutes dans les 3 ou 4 rues autour d’ici : dans le bas de la rue Saint-Denis jusqu'à Rivoli et rue des Lombards entre Sébastopol et la place saint opportune.
Quand tu remonte plus haut dans la rue Saint-Denis, jusqu'à Etienne-Marcel, tu trouveras plus de pute de pas de porte. Y’a que des sex-shop et des peep-show. Tout se fait en arrière boutique avec des jeunettes qui bossent pour des patrons.
Et si tu remonte encore, après Etienne Marcel et jusqu’après la porte Saint-Denis, c’est le coin des blacks : les africaines et les filles des îles. Des jeunettes qu’occupent le marché de l’exotisme. Ca nous a foutu un coup à nous les vieilles l’arrivée de ces fraîcheurs lointaines, mais à part ça, ça va, on se plaint pas trop vu que le reste du marché s’adresse à une autre clientèle, aux bois. A Vincennes, ou a dauphine, à Boulogne, c’est le soir en bagnole que ça bosse. C’est le drive-in de la passe. Ici, au cœur de paris,, on est un service de proximité. Tu vois mon biquet, c’est un peu le combat des vieilles épiceries de quartier contre les supermarchés de la périphérie avec ses produits d’importation. Alors même si on est plus de la première fraîcheur, on a fidélisé notre clientèle. »
Un jour, après nous être adonné a notre rituelle petite conversation du matin, elle me demanda de lui faire préparer et mettre de coté un plat. Elle le faisait régulièrement quand son frigo était vide, ce qui était chose fréquente.
- Tu me fera faire ton frichti avec des lardons, des champignons, des oignons, du fromage et tout le tralala. Comme d’habitude quoi. Mais pas trop d’oignons parce que…
- Oui, la coupais-je, pas trop d’oignons parce que les clients préfèrent se le farcir plutôt que de le sentir, je sais mimiche, comme d’habitude.
- Vl’a qu’y m’imite maintenant, dit elle avec un large sourire. Mais dans ta bouche c’est vulgaire mon chéri. T’as pas l’accent qui va avec, laisse ça à une pro. Pour mon plat, je descendrai le chercher vers 14 heures, après mon habitué du mercredi. C’ui la, il me secoue comme si il montait une pouliche pour le grand prix d’Amérique. Y sait pas faire autrement. Et j’ai toujours une dalle d’enfer après. Tiens, te vl’a de quoi payer le plat me dit elle en me tendant un gros billet.
- Mimiche, j’ai pas encore de monnaie. C’est bon, laisse tomber, je peux bien te le faire passer à l’as ton plat, c’est cadeau.
Son sourire s’effaça alors pour laisser place à une colère contenue, et c’est avec une froideur que je ne lui connaissait pas qu’elle me répondit.
- Ecoute moi bien mon biquet. Pour l’oseille, je fais pas crédit à mes clients et je leur fais pas faire de tour gratuit. Je vois pas pourquoi moi, je demanderai à ce qu’on me fasse des fleurs, d’ailleurs on m’en a jamais fait. Quand j’achète quelque chose, je crache pour l’avoir, et j’en suis fière. Je roule pas sur les biffetons mais je suis pas dans la dèche pour qu’on me fasse l’aumône.
- Je ne voulais pas te vexer, dis-je penaud et surpris de sa réaction. C’est juste que je te fais confiance et que pour cette fois, ça me fais plaisir de t’offrir un repas.
Voyant mon air désolé, elle se radoucit presque immédiatement
- Excuse, j’ai pas l’habitude c’est tout… c’est gentil de ta part.
Gênée de sa réaction trop brutale, elle mis fin à la conversation prétextant une course qu’elle devait faire.
- A cet après-midi me lança-t-elle avant de s’éloigner.
A 14h30, le service était terminé et le plat de mimiche attendait toujours sa venue en refroidissant en cuisine. Un peu inquiet de ne pas l’avoir vue venir le chercher, je me décidais après plusieurs moments d’hésitation à lui monter directement chez elle. Je savais à quel étage elle habitait et je connaissais le code d’entrée de la porte puisque il m’arrivait de passer par la pour entrer dans les bureaux du restaurant dont une porte donnait sur le palier du premier étage. Je gravis donc les trois étages qui conduisaient au studio de mimiche en me demandant si c’était une bonne idée et si je n’allais pas frapper à sa porte alors qu’elle était peut être « occupée » avec un client. Arrivé devant la porte je tendis un peu l’oreille, mais aucun bruit suspect ne vint confirmer mes craintes. Je frappais trois petits coup discrets : on ne sait jamais. De longues secondes s’écoulèrent dans le silence. Au moment ou je me demandais si il fallait que je frappe à nouveau ou que je fasse demi-tour, j’entendis un bruit de l’autre coté de la porte : un grincement suivit d’une voix interrogative :
- Ouais, qui c’est ?
- C’est Fabien… le serveur du resto d’en bas… Heu, je t’apporte le plat que tu m’as commandé ce matin.
Un silence accueillit ma phrase hésitante, et au bout d’un moment qui me parut durer des heures le bruit du verrou que l’on tire se fit entendre. La porte s’ouvrit sur une mimiche que j’eu du mal à reconnaître tout de suite. Elle était vêtue d’un peignoir et avait les cheveux en bataille. La chose qui me frappa le plus étaient ses yeux gonflés. J’aurai parié qu’elle venait de pleurer, mais je fis mine de ne rien avoir remarqué.
- Salut biquet, j’avais complètement oublié que je t’avais commandé un truc. Excuse moi. Dit elle en s’efforçant de masquer son trouble.
- Il n’y a pas de soucis, répondis-je. Du coup, je te l’ai monté directement, dis-je en désignant l’assiette que je tenais dans la main.
- J’ai pas très faim, mais j’vais le prendre quand même. Entre et pose le sur la table, dit-elle en s’effaçant pour me laisser le passage.
Obéissant, je pénétrai dans la pièce et posai le repas sur une petite table bancale. En regardant autour de moi, je vis que les seul autre élément de mobilier du studio consistait en lit king-size, une table de chevet et des étagères ou s’entassaient des bibelots. Une déco pour le moins simpliste.
- Bon, je vais redescendre, j’ai encore deux trois choses à faire au resto. Par contre, si tu ne mange pas tout de suite tu devrais mettre ça au frigo, dis-je en désignant l’assiette.
- Tu joue la mère poule toi maintenant ? répondit-elle en esquissant un sourire peu convaincant. Je t’obéis tout de suite mon lapin.
Elle se dirigeât vers les portes de ce que je pensais être un placard. En l’ouvrant, je me rendis compte qu’il s’agissait en fait de la cuisine. Une « kitchenette » comme disent fièrement les annonces immobilières. Un simple renfoncement contenant un bloc évier et deux plaques électriques surmontant un frigo dans lequel elle rangeât l’assiette. Au dessus, sur des étagères, au lieu des denrées ou des ustensiles de cuisine que l’on s’attendrait à y trouver, s’alignaient toute une série d’objets hétéroclites. Des photos dans leurs petits cadres, quelques bouquins jaunis et cornés, une boite en bois ornée de sculptures d’un blanc ivoire, un vieux chat en peluche, borgne et fatigué qui par ses coutures éclatés laissait s’échapper par endroits des petits mottons de rembourrage bruni, et quelques objets encore, le tout constituant vraisemblablement les souvenirs d’une vie qui auraient plus eus leur place soit en décoration dans le studio, soit dans une boite a chaussure glissée sous le lit plutôt que soigneusement alignés dans ce qui ressemblait à un petit autel dissimulé à la vue de tous par les portes d’une kitchenette. Voyant que je m’attardais du regard sur les différents objets, elle me lança un sourire emprunt de tristesse à peine contenue.
- Ce que tu vois la mon grand, c’est toute ma vie, ou plutôt tous les souvenirs qui ont comptés dans ma chienne de vie.
- Je suis désolé, je ne voulais pas être indiscret, dis-je me rendant compte de ce que ma curiosité avait de déplacée.
- Oh, y’a pas de mal. Si tout ce qui compte pour moi est planqué la, c’est que je n’ai pas envie d’avoir tout ça sous les yeux quand je suis avec un client.
Alors que je m’approchais pour détailler une photo qui montrait une jeune femme radieuse tenant un bébé dans ses bras, elle rajouta :
- Et c’est aussi pour que tous ceux qui passent par ici ne posent pas de questions auxquelles j’ai pas forcement envie de répondre.
Je ravalais aussitôt la question qui me brûlait les lèvres. Elle s’attarda du regard sur la photo en question, sur cette jeune femme, à peine sortie de l’enfance, ayant les mêmes traits qu’elle, les rides d’amertumes et les désillusions en moins, et sur ce bébé joufflu qu’elle tenait tendrement contre sa poitrine. Son regard se voilà tandis qu’elle se perdait dans les souvenirs que faisaient remonter à la surface la vision de cette photo, et, pour briser le silence pesant qui s’installait je risquais quand même une timide question.
- C’est toi, n’est ce pas ?
- Oui, c’est moi, finit elle par répondre dans un soupir. C’est moi et ma fille. Elle avait à peine un mois sur cette photo… Et moi, j’avais quinze ans.
Elle baissa les yeux sur ses mains qu’elle serraient nerveusement l’une contre l’autre. Elle baissa les yeux de l’image de son bonheur lointain pour trouver la force de continuer à parler. Elle me raconta son histoire, sa croix et sa douleur, en laissant tomber toutes ses barrières de défense, et avec elles son ton gouailleur et le vocabulaire qui allait de paire. Sa voix se faisait douce, je n’avais plus devant moi une prostituée haute en couleur, mais une femme vieillissante et fragile qui se livrait à moi de façon bien plus intime que lorsqu elle écartait les jambes pour ses hommes.
A 15 ans, elle était tombée enceinte d’un jeune de son village natal du morbihan. Ses parents, pétris de morale et de tradition n’avaient jamais acceptés sa grossesse. Envoyée chez une tante dès que les rondeurs trahissant son états étaient apparus, elle avait vécu ces derniers mois de grossesse loin des ragots du village. Les premières semaines de la vie de la petite Catherine s’étaient déroulées comme dans un rêve pour Michèle qui découvrait le bonheur d’être maman. Son jeune âge ne l’empêchait pas de trouver le plus naturellement du monde les bons gestes à faire envers cet enfant. L’instinct parle à tout âge. Malheureusement ses parents en avaient décidés autrement et c’est avec effroi qu’elle dut affronter leur discours lui enjoignant d’aller abandonner l’enfant dans un orphelinat. « Tu ne peux pas le garder. Que dira-t-on si tu reviens avec ce bâtard alors qu’il n’a pas de père, et que tu n’as que 15 ans ? penses tu a la famille ? pour quoi va-t-on passer ? Non, tu ne peux pas le garder. » La sentence était cruelle et irrévocable. Elle pleura, cria, supplia, menaça de partir seule avec Catherine, de fuir ce pays qui ne l’accepterait pas parce qu’elle avait donné la vie. Rien n’y fit. Ses parents furent inflexible, ce fut la fin de ses désillusions d’enfant et le début de la haine envers ses parents qui ne s’est jamais éteinte depuis. Sous les pression de sa famille, les menaces, le chantage, elle finit au terme d’un lavage de cerveau en bon et du forme, par emmener sa fille dans une institution. La mort dans l’âme, elle avait signé les papiers, le doigt de sa mère pointant les endroits ou elle devait apposer sa signature signifiant qu’elle renonçait à ses droits d’aimer sa fille.
Après cet épisode, elle était rentré dans son village, auprès des « siens ». Mais elle n’y était resté que pour voir grandir sa haine et prendre conscience de l’ignominie de ce qu’on l’avait obligé à faire. Et un matin elle est partie. Elle a fuit. Désormais seule, elle a traîné sa culpabilité au fil des ans, et au fil de ses pérégrinations. Les squats, la rue, les hommes violents, et fatalement la prostitution. Elle a même essayé de fuir son pays et a vécu quelques temps en Allemagne et en Italie, au coté de vieux beaux qui l’entretenait comme on s’occupe d’une jolie plante à exhiber. A 23 ans, elle a atterrit à Paris. C’est la qu’elle restera, vivotant de petits boulots au noir qui n’ont jamais tant rapportés que ce son cul pouvait lui payer. C’est ainsi que 30 ans plus tard elle est devenu, comme elle aime à s’appeler par provocation, une vieille pute.
Mais malgré toutes ces années, elle n’a rien oublié. Elle a toujours traîné dans son sillage la culpabilité d’avoir abandonné sa fille. Même si c’était sous la pression, c’était quand même elle qui avait signé les papiers. Même si elle l’aimait c’était quand même elle qui avait laissé aux bras d’une inconnue son bébé aux joues mouillés des larmes. Chaque nuit, elle pensait à Catherine, se demandant ou elle était, ce qu’elle était devenu et ce qu’elle avait fait de sa vie. Elle implorait Dieu pour que son enfant soit heureux, ou qu’il soit. Chaque jour elle changeait de Dieu, pour multiplier les chances. Elle pensait que la religion, c’était rien que des foutaises. Elle ne croyait pas en un Dieu qui avait laissé faire de sa fille une orpheline. Elle était Athée, mais pour Catherine, chaque soir elle devenait polythéiste au cours de ses prières silencieuses et lacrymales. Sa plus grande joie aurait été de la revoir, de la serrer dans ses bras, même 37 ans après.
Pendant qu’elle me racontait son histoire, je restais silencieux, la regardant se recroqueviller à mesure qu’elle déroulait les mots, sans temps morts, comme si elle s’arrêtait ne serait-ce qu’une seconde de parler, elle ne pourrait pas continuer. Lorsqu’en un soupir le dernier mot mourut sur ses lèvres, je lui demandais doucement.
- Et tu n’as jamais essayé de la retrouver ?
Elle m’expliquât alors qu’une mère qui abandonne son enfant ne peut pas faire la démarche de le retrouver. L’administration est claire la dessus, ou plus justement, suffisamment obscure pour couper toute velléité allant dans ce sens. Il n’y a que l’enfant qui peut entamer des recherches sur sa mère, et jusqu'à preuve du contraire, Catherine ne l’avait jamais fait puisqu’elle n’était encore jamais venu frapper à sa porte.
- Et puis de toute façon, me confia-t-elle encore. Même si j’en meurs d’envie, je suis terrorisé à l’idée de ce qu’elle pourrait avoir à me dire. Je crois que je ne serais pas assez forte pour affronter ses questions « Pourquoi m’as tu abandonné ? Comment peut tu dire être ma mère alors que l’on ne se connaît pas ? » J’ai peur d’être rejetée. J’ai peur qu’elle ne comprenne pas. Tout ce qu’il me reste d’elle c’est cette photo et son chat en peluche que j’ai gardé depuis 37 ans. Et puis qui aurait envie de retrouver une mère comme moi, une vieille pute qui survit dans un vieil appartement miteux ? Peut être que c’est mieux comme ça. En disant cette dernière phrase, ses yeux disaient tout le contraire.
Cette bouffée de fatalisme et de résignation me mit mal à l’aise. Je ne pouvais pas croire que l’on puisse ainsi en arriver a accepter les choses sans se donner de l’espoir. Avec les illusions de mes 23 ans, j’essayais maladroitement de lui faire relever la tête.
- Il ne faut pas perdre espoir, c’est important d’avoir des buts dans la vie et d’essayer de faire changer les choses, Dis-je. Je sais plus trop ou j’ai entendu ça, mais ça me plait bien :
La seule chose réellement nécessaire dans la vie d’un Homme c'est l'Amour.
Si on lui enlève l’amour, il faut lui donner un espoir pour se battre.
Si on lui enlève l’espoir, il faut lui donner quelque chose à faire.
Si on lui enlève ça, il ne lui reste rien.
C’est assez vrai, non ?
- C’est surtout très cul-cul me répondit-elle. C’est mignon, mais cul-cul. On est pas dans le monde merveilleux de Mickey ici. On est dans la réalité, pas dans un rêve.
- Rêver, ça fait pas de mal.
- Sur le coup, non, mais quand on se réveille c’est à grand coup de baffes dans la gueule.
- c’est pessimiste et défaitiste.
- Non, à mon stade c’est salutaire. Pour toi qui a encore les marques du bavoir sur le cou, t’as peut être encore besoin de la béquille des illusions, mais on ne me la fait plus à moi cette plaisanterie la. Au lieu de passer mon temps à rêver qu’un jour je serai heureuse dans une petite maison de banlieue avec ma fille qui viendrait me voir tous les dimanche en me disant « maman je t’aime » je préfère utiliser mon temps à essayer de pas être trop malheureuse aujourd’hui. A quoi bon rêver un demain heureux pour gâcher un aujourd’hui peut être pas génial en comparaison, mais qui pourrait être pire ?
Alors qu’elle me débitait son laïus, elle reprenait peu à peu le masque de la vieille prostitué que tout le monde lui connaissait. Elle retournait dans la peau de la mimiche pour se convaincre que ce qu’elle disait était vrai et non pas un discours grandiloquent qui masquait ce qu’elle redoutait de se permettre de rêver.
- Rêver, ça empêche de vivre mon lapin, ça te bouffe. Arrête de rêver et vis pleinement aujourd’hui. En plus ça t’évitera de te réveiller déçu demain.
Je ne me souviens plus trop de la fin de la conversation. Tout ce dont je me rappelle c’est que je me suis senti triste et perturbé devant ce discours. Lequel des deux personnage avait raison ? La Michèle que j’avais entre-aperçu l’espace d’un moment, celle qui priait chaque soir devant la photo de sa fille perdue dans l’espoir de la retrouver, ou bien la mimiche qui se blindait de désillusions et se vautrait dans une vie épicurienne au jour le jour ?
Je me souviens aussi que quand j’ai quitté l’appartement, elle m’a juste dit « A demain Fabien » Et je savais que nous ne reparlerions jamais de cette histoire.
J’ai quitté le « capitaine » en 2002, et souvent par la suite je suis repassé devant le restaurant. Je m’arrêtais de temps en temps discuter un peu avec mimiche quand je la voyais devant sa porte. Et un beau jour, je ne l’y ai plus vu. Je ne l’ai plus jamais revu. Je ne sais pas ce qu’elle est devenu, mais à chaque fois que je passais par la, j’ai toujours eu une pensée pour cette femme que tout le monde voyait mais que personne ne connaissait. Une femme au verbe toujours haut, aux jupes toujours courtes, avec un cynisme ponctué de grossièretés qui n’était en fait que de la pudeur. La pudeur de cacher une tristesse et une histoire tragique. Une vie difficile qui avait réussi à assécher l’espoir dune vie meilleure. Alors, pour vivre, elle essayait de profiter du jour comme elle pouvait, avec ses moyens en faisant ce qu’elle savait le mieux faire : donner du plaisir aux autres, ou à défaut, les satisfaire.
Je ne l’ai jamais revu, je ne sais pas ce qu’elle est devenu. Tout ce que je peux faire, c’est espérer que la ou elle est cette vieille pute, elle est vraiment heureuse, avec une fille retrouvée ou pas.
bonjour. je suis Ben. Mon frère, Fabien, il a 7 ans de plus que moi et c'est lui qui écrit tous ce qu'il y a dans ce journal sur internet. Il a d'ailleurs raconté ici l'épisode de ma venue au monde. Et il m'a dit un jour que ce serait pas mal si c'était moi qui racontait de temps en temps quelques histoires que j'ai vécu. Il m'a dit que si c'était moi qui les racontait, avec mon point de vue, ce serait plus intéressant que si c'était lui qui le faisait.
Un jour, j'avais 15 ans, et mon frère était venu passer le w.e. à la maison, pour nous voir.
Après le déjeuner, il me dit: "ce soir on sort tous les deux. Je t'emmènes au mac do et après on ira au ciné. ça te dis?" alors moi, j'ai dis oui, ça me dis. J'étais super content. Tellement content que je suis allé me cacher dans ma chambre, parce que c'est comme ça: quand je suis content je vais me cacher dans ma chambre et je saute sur mon lit. Dans ces moments la, je ne peux pas retenir ce qui déborde à l'intérieur de moi, alors pour me calmer je saute le plus fort possible sur mon lit et les mots sortent de ma bouche sans que je puisse les retenir. Mais ils sortent dans le désordre. Même pas des mots en fait, des bouts de mots sans trop de rapport les uns avec les autres, avec une voix bizarre, un peu trop aiguë. c'est pour ça que je vais dans ma chambre. Quand je fais ça devant d'autres gens, ils me regardent avec des yeux bizarre et j'aime pas tellement qu'on me regarde, surtout avec des yeux bizarre.
J'ai pas trop l'habitude de sortir comme ça. ça me fait un peu peur, alors j'ai le cœur qui tape fort dans mon corps. Il tape tellement fort que je l'entend depuis l'extérieur. et je le sens qui donne des coups, la, sous mon t-shirt vert qui a une tache. C'est pour ça qu'il faut que j'en mette un autre. Quand on sort, il faut pas avoir de tache sur son t-shirt parce que les gens peuvent croire que je suis sale.
C'est comme ça les gens. Quand ils vous regardent, c'est comme si ce qu'ils voyaient, c'est comme ça que vous êtes tout le temps. Si ils vous regardent et qu'il y a une tache sur le t-shirt pour eux, c'est que vous êtes sale. Et que plus tard, quand ils ne vous voient plus et qu'il repensent a vous, ils vous imaginent toujours avec une tache sur le t-shirt. Vous serez toujours celui qui a une tache sur le t-shirt, alors qu'ils vous ont vu qu'une fois et que c'est pas vrai. Pas toujours.
Moi, ça ne me fait rien d'avoir des taches vu que je les vois pas, mais bon c'est comme ça, faut que je change de t-shirt.
Je passe tout l'après midi avec le cœur qui bat fort et vite. Je vais voir ma mère plein de fois en lui demandant: "c'est vrai, ce soir je vais en ville?" Je lui demande et redemande encore de peur que mon frère n'ai dit ça comme ça, en l'air, et que ce ne soit pas vrai. A chaque fois, elle me répond avec un sourire "oui, oui. ce soir vous sortez tous les deux, entre garçons". Et à chaque fois, mon cœur il tape un grand coup, encore plus fort que les autres. Parce que je suis content, et parce que j'ai un peu peur aussi vu que je n'ai pas l'habitude de faire ça souvent.
La fin de l'après midi arrive, je crois, alors je me prépare. Je change de t-shirt. j'en mets un bleu avec deux bandes blanches sur le coté. Il est joli (c'est ce que m'a mère m'a dis quand elle me l'a acheté). Je passe le peigne dans mes cheveux, parce que c'est comme ça qu'on fait quand on va sortir. Et puis je me lave les dents aussi. Je met mes chaussures, mes préférées, celles qui ont des scratches, parce que les autres je les aime pas. Les autres elles se ferment avec des bouts de ficelles qu'il faut tourner dans un sens, puis dans l'autre, en faisant passer un des bouts dans le petit pont fait avec l'autre bout de ficelle, et puis après il faut tirer d'un coup sec pour tout serrer. Mais vu que je n'y arrive pas, il faut que quelqu'un me le fasse et à chaque fois on me ré explique comment on fait. Ca m'énerve qu'on me ré explique tout a chaque fois. c'est pas la peine vu que je "SAIS" comment on fait, mais que je n'y arrive pas, c'est tout.
Alors je met mes chaussures préférées, celles avec les scratches. La, c'est beaucoup plus facile, j'y arrive. Il y a un petit bout qui gratte et qui pend sur un coté de la chaussure qu'il faut mettre la ou il y a le petit bout de moquette tout doux collé sur l'autre coté de la chaussure. Et ça tient (j'ai jamais compris pourquoi ça collait vu que ça colle pas sur mes doigts. Une fois, j'ai passé une après midi entière a essayer de comprendre en collant et décollant, encore et encore, et je n'ai pas pu résoudre ce mystère).
Voila, je suis prêt, et je m'assois avec mon t-shirt propre sur le canapé du salon en attendant mon frère. On doit partir vers 19h m'a t'il dit après le déjeuner. "je serai de retour a la maison un peu avant" a t'il ajouté avant de partir voir des copains comme il le fait de temps en temps quand il rentre passer le w.e. a la maison.
Moi je suis prêt, et je demande l'heure a maman qui est en train de repasser dans la pièce d'a coté. "Il est 17h Ben, tu a encore le temps tu sais". 17h, c'est pas encore la même chose que 19h, mais tant pis, je suis prêt, alors je vais attendre. Je n'ai rien d'autre a faire, et de toute façon je suis trop excité a l'idée de cette soirée pour pouvoir faire autre chose.
j'attend qu'il soit 19h, sagement assis dans le canapé. J'attend
Sur la cadran du magnétoscope, qui fait aussi montre, je vois un 1 et 9. Ca y est, c'est l'heure. Il est 19h tout juste. C'est le moment de partir, mais mon frère, n'est pas encore rentré. Je commence a m'inquiéter, Il m'a pourtant bien dis que c'était à 19h que l'on partirai en ville pour aller au restaurant Mac Donald et ensuite au cinéma... J'ai le cœur qui bat fort, mais cette fois c'est différent de tout à l'heure quand j'était content. La, c'est parce que c'est l'heure de partir, que je suis toujours la, et que mon frère n'est pas revenu. Je m'agite sur le canapé, me sentant tout serré dans mon t-shirt bleu a rayure qui est joli. je suis la tout seul alors que mon frère m'avait dit qu'a cette heure ci on devrait être en route . je suis triste et j'ai même un peu envie de pleurer, mais je ne pleure pas. Je reste assis en fixant la baie vitrée, espérant a chaque instant que le capot noir de la voiture de Fabien vienne à y apparaître.
Maintenant... non!
Maintenant... non!
Maintenant... non!
j'ai de plus en plus envie de pleurer.
Et tout a coup, le voila... Le voila ce capot noir qui apparaît derrière la vitre. Mon cœur donne un tel coup que je ne sais même pas pourquoi il n'est pas sorti de moi en faisant un gros trou dans mon joli t-shirt bleu. Je me précipite vers la porte et l'ouvre au moment ou mon frère allait poser la main sur la poignée. Il me lance un sourire et me dit "tu m'attendais à ce que je vois" et il rajoute en regardant sa montre "Je suis désolé ben, il est 19h05, je suis en retard. j'espère que tu ne t'es pas inquiété". "non non" que je répond "je t'attendais c'est tout". La, il me regarda avec le même air que prend ma mère quand elle ne me croie pas lorsque je lui raconte que j'ai joué tout l'après midi avec Mr Xorup, mon copain extraterrestre qu'il n'y a que moi qui peux le voir. "si c'est vrai, je t'attendais, je m'inquiétais pas" que je lui lance pour le convaincre. "oui oui, c'est ça... je te connais tu sais" qu'il me répond "il y avait du monde sur la route, ça m'a retardé, mais je suis la maintenant. je me change vite fait, et on y va. Ok?" J'ai dit Ok, et j'ai couru jusqu'a la voiture pour m'installer en l'attendant. J'étais super content, mais la, je n'avais pas du tout envie d'aller me cacher dans ma chambre pour sauter sur mon lit.
Je vais pas raconter le trajet en voiture vu qu'il ne s'est rien passé d'intéressant, on a juste roulé et on a garé la voiture dans un parking enterré. Même que pour y entrer il faut rouler sur une sorte de toboggan à voiture qui tourne et qui descend sous la terre. Quand on était dessus, les roues faisaient un bruit qui ressemblait au cri de raoul, notre chat, quand on lui marche sur la queue sans faire exprès. Mais la, le bruit durait tout le temps qu'on s'enfonçait sous terre en tournant, comme si on roulait sur plein de queues de raoul.
Pour aller au restaurant, on a du traverser pleins de rues. On allait pas vite parce qu'on se promenait et qu'on était pas pressé. Le film au cinéma, il commençait que dans deux heures. On a croisé pleins de gens. certains nous regardaient et nous suivaient du regard. Moi, j'étais content parce que je n'avais pas de tache sur mon t-shirt et qu'ils ne pourraient pas se souvenir de moi comme celui qui a des taches, mais mon frère, lui, il n'avait pas l'air plus content que ça que des gens nous regardent. Il a même froncé les sourcils plusieurs fois en se murmurant un truc du genre "ils ont jamais vu d'handicapés ou quoi". Enfin, je crois. je suis pas sur que c'est ce qu'il a vraiment dis vu que j'ai pas compris ou il voulait en venir en disant ça.
On est enfin arrivé au restaurant mac donald. Il y en a plein des restaurants comme ça. A chaque fois qu'on part en vacances avec mes parents, j'en vois au moins deux ou trois sur le chemin. Ca doit être un super bon restaurant vu qu'il y en a partout. Et c'est la que mon frère m'emmène manger. Je l'aime bien mon frère. Il y avait beaucoup de monde. Et je lui dit:" Il y a beaucoup de monde ce soir". Il m'a répondu en rigolant "oui, ma bonne dame. C'est vrai, nous qui venons tous les soirs, je ne peux que confirmer: ce soir il y a beaucoup de monde". J'ai pas compris ce qu'il y avait de drôle, mais j'ai rigolé aussi. Comme a chaque fois que je suis avec mes parents ou avec d'autres gens et qu'ils disent quelque chose qui les fais rire, je fais comme eux, je ris même si je comprend pas. c'est comme ça qu'il faut faire, ça s'appelle l'humour à ce qu'on m'a dit.
On s'est mis derrière les gens qui attendaient à la queue leu-leu leur tour de demander aux vendeurs ce qu'ils voulaient. Fabien m'a montré les panneaux sur lesquels il y a les photos de tout ce que l'on peut manger et m'a demandé de choisir ce que je voulais. Lorsque je lui montrais une photo, il me lisais ce que c'était et tout ce qu'il y avait dedans. c'était long de tout décrire comme ça, et on est arrivé devant le vendeur avant que je sache quoi prendre. Et comme je réfléchissais, j'ai entendu une voix derrière nous qui disait "bon alors, il va se dépêcher à choisir le mongolien, on a pas toute la soirée, non mais c'est vrai ça...".
Je me suis retourné en même temps que mon frère, et en voyant le monsieur qui avait dit ça, j'ai compris que c'était de moi qu'il parlait à sa façon de me fixer méchamment. Et j'ai eu peur. Pas a cause de ce qu'il avait dit, vu que j'avais pas compris, mais à cause de sa colère contre moi que je voyais dans ses yeux tout rétrécies . Mais je ne savais pas pourquoi. C'est vrai, je lui avais rien fait moi a ce monsieur. Mon frère, lui, il pas eu peur. Il m'a dit tout fort, si fort que pleins de gens ont entendus: "t'occupe pas des commentaires des vieux cons, et choisi ce que tu veux manger" Mais il ne me regardait pas en me disant ça, il fixait le monsieur de derrière.
J'ai finalement choisi la première photo, pour en finir le plus vite possible. C'était un gros hamburger avec 2 steaks hachés dedans, et du fromage et pleins d'autres trucs dont j'ai oublié le nom. Avec ça, il y avait des frites et un grand verre en carton rempli de coca-cola. Fabien a pris la même chose que moi. Je voulais qu'on se dépêche, qu'on aille vite s'asseoir pour ne plus sentir le regard du monsieur de derrière qui me traversait le dos et me faisait tout froid à l'intérieur. Mais Fabien a payé le caissier en prenant tout son temps, comme si il faisait exprès de tout faire lentement. Et moi, je sentais le monsieur de derrière que s'agitait en faisant des grognements.
Chacun avec un plateau, on est enfin allé s'installer à une table vide, on a commencé à manger et a discuter. Je racontais ce que je faisais de mes journées, et Fabien me racontais un peu ce qu'il faisait dans la ville ou il était parti faire des études. Un jour, moi aussi, j'aimerai bien partir faire des études ailleurs. Apprendre a compter encore plus loin que je sais le faire, et écrire des mots encore plus longs que ceux que j'arrive à écrire. Je me sentais bien avec mon frère. C'était chouette et j'avais oublié l'histoire du monsieur qui m'avais donné froid et mis la chair de la poule sans les plumes sur les bras.
On mangeait avec les doigts, et ça aussi c'était bien. A un moment, derrière nous, il y a une dame qui est passé et qui a glissé sur une frite qui était tombée par terre. Je le sais que c'était une frite parce que ça faisait un moment que je l'avais repérée, par terre. Je la suivais des yeux qui se baladait à cause des coups de pied que lui donnait les gens qui passaient, sans la voir. Et la, cette dame a marché dessus et elle a glissé. Elle a failli tomber, mais s'est rattrapée tout juste au bord d'une table. Vous auriez du voir se tête... En glissant elle a eu une grimace à se tordre de rire. Ca c'est de l'humour comme je le comprend et comme je l'aime. Je n'ai pas pu me retenir, et j'ai éclaté de rire, très fort. J'avais des frites dans la bouche, du coup, j'en ai craché pleins de petits bouts sur la table, et jusque sur la chemise de mon frère. Il m'a regardé, l'air tout surpris, et ça m'a fait rire deux fois plus fort. Je ne pouvais plus m'arrêter. C'est une crise de fou rire que ça s'appelle. Quand on commence ça ne s'arrête plus. Mais il parait que c'est pas grave, alors...
Fabien me regardait faire. Il me regardait comme maman le fait quand elle me dit "arrête de faire ça, il y a du monde, ça se fait pas", puis regardant autour de lui comme s'il était embêté que des gens nous fixent. Moi, je continuais a rigoler, je ne pouvais pas m'arrêter. Je rigolais, et entre deux rire, je mettais une frite dans ma bouche. Je savais que ça ne se faisait pas. Qu'il fallait manger la bouche fermée, mais je ne pouvais pas m'empêcher de rire, la bouche grande ouverte. Et a l'idée qu'on pouvait voir l'intérieur de ma bouche pleines de frites, j'avais encore plus envie de rire. les gens, tout autour, me regardaient. Certains souriaient en se chuchotant a l'oreille, et d'autres ne riaient pas du tout en me regardant bizarrement. Sûrement parce qu'ils n'avaient pas d'humour.
Et mon frère, à ce moment la, il avait pas l'air d'avoir de l'humour non plus, parce qu'il ne riait pas. Il était tout raide, en faisant une tête de quelqu'un qui est gêné, avec des joues toutes rouges. En regardant la tête qu'il faisait, j'avais encore plus envie de rire. Et j'y allais franchement.
Il s’est mis à me parler tous bas, mais, presque sourd à cause de mes rires, je n'entendais qu'un mot pas ci par la "...arrêtes... tout le monde nous regarde... bouche... frites... arrêtes..." Mais je ne pouvais pas m'arrêter, au contraire, ma crise était de plus en plus forte. Tellement forte que j'en avais mal au ventre et que j'étais obligé de me le tenir. Toutes les têtes des gens étaient tournées vers nous.
A un moment, Fabien s'est arrêté de parler, et m'a regardé, a regardé les gens autour de nous, m'a regardé de nouveau et j'ai vu dans ses yeux que sa gêne et sa colère s'en allaient.
"ok, tu veux jouer à ça?" qu'il m'a dit. Et il a commencer a mettre une frite dans sa bouche, puis une autre, une autre, et encore une autre. Il a continué jusqu'a ce que ses joues ressemblent à celles d'un hamster. Il a commencé à sourire, d'abord un petit peu, puis de plus en plus. Et il a éclaté de rire... comme moi, mais en pire. J'ai même eu un bout de frite dans les cheveux c'est pour dire. La au milieu de ce restaurant, on rigolait comme deux débiles alors que tous le monde nous regardais en faisant la tête de ceux qui sont dérangés, ce qui nous faisait encore plus rire. certains souriaient de nous voir, mais pas beaucoup.
Après un grand moment, on a fini par se calmer. Il fallait bien parce que sinon on allait rater la séance de cinéma. On était tout rouges, et on avait mal au ventre d'avoir trop ri.
En sortant du restaurant, il s'est tourné vers moi et m'a dit" j'ai honte d'avoir eu honte de toi Ben. Excuses moi. Excuses moi et merci de ce que tu m'apporte mon grand." Alors la, j'ai rien compris, mais j'ai pas rigolé parce que j'ai vu que c'était pas de l'humour vu qu'il ne riait plus et qu'il avait même les yeux un peu mouillé. J'ai rien compris, mais j'ai quand même répondu "De rien, c'est un plaisir" parce que c'est la phrase qu'on doit dire quand quelqu'un vous dit merci, même si on sait pas pourquoi...
Il faut que je parle d'I. Je l'ai eue au telephone il n'y a pas tres longtemps... I. est une fille que j'ai rencontré il y a quelques années. A l'époque, elle avait 35 ans, une joie de vivre hors du commun. Lorsque je l'ai vue la premiere fois, je ne savais pas encore que nos routes se recroiseraient. Elle une lesbienne de 33 ans épanouie, et moi, un homo de 23 ans pleins d'illusions. Elle a tellement la pêche, et degage tellement la joie de vivre, qu'elle a reussi à convertir une de mes amie aux plaisirs de l'amour entre femmes. Et oui, C., une hetero mangeuse d'homme, est tombée sous son charme, et c'est un soir que C. me l'a appris. Elle m'appelle, et me donne rendez-vous pour boire un verre, car elle veut me presenter la nouvelle personne avec qui elle est. -Encore!!! Mais tu arretes pas.. et qui est ce pauvre garçon inconscient a qui tu as mis le grappin dessus cette fois? -Euh, je te dis rien pour l'instant, c'est une surprise. On se voit ce soir et je te presenterai. -Rhoooo!! et bien, c'est quoi tous ces mysteres. Tu veux rien me dire mantenant?? s'il te plait! ne joue pas aux devinettes avec moi. -Non, je te dis rien, tu verras ce soir -C'est un mec marié?.. c'est ça..., tu veux rien me dire parceque c'est un mec marié! et puis il a trois enfants, et tu veux pas que ça s'ebruite. Hein, dis!! c'est ça? -Non, tu verra ce soir. -.... Alors, il a une jambe de bois, et il est moche, et t'a pas envie que ça se sache, alors tu le cache! Hein, dis!! c'est ça? -Non, tu verra ce soir. -Aller! dis le moi... Mais c'est pas grave tu sais, du moment que tu es amoureuse et heureuse, peut importe qu'il soit difforme, qu'il ait 75 ans ou qu'il ait du poil aux oreilles. Faut pas en avoir honte...Hein dis!! j'ai raison?? -Bon, tu as fini tes conneries?? Non, c'est quelqu'un qui n'est ni marié, ni grabataire, sans difformité, et sans poils aux oreilles. -Ben pourquoi tu me dis pas qui c'est au lieu de me faire endurer toute une journée d'insupportable attente!! Tu sais que maintenant je vais passer mon temps à me me demander qui c'est. Tu es sadique, tu le sais ça? -Oui, et j'adore ça! -Je te hais. -moi aussi -bon, puisque c'est comme ça, je raccroche, et je te maudis jusqu'a ce soir. -Si tu as que ça a faire de ta journée, va y fais toi plaisir. Mais n'oublie pas, 22h ce soir au C.H.V -Mmmmm ok, a ce soir. en attendant passe le bonjour à.... ton copain... Il s'appelle comment deja? -... Bien tenté, mais raté!! tu le saura ce soir. -Je te deteste. -Tu radote la. Je t'embrasse, et à ce soir. -Je t'embrasse aussi, mais ça n'empeche que je te deteste.
Le soir venu, me voila arrivé au rendez-vous,en avance, curieux de rencontrer cet amant mysterieux. 5 minutes apres m'etre installé, je vois arriver ma C., en compagnie... d'une grande blonde.
Au fil du temps, j'ai appris a connaitre I. Belle, genereuse, prevenante, pleines de qualités. Peut etre en partie a cause de la bête qu'elle doit combattre depuis quelques années: un cancer.
J'ai appris a la connaitre quand on partait en vacance se bruler le dos sur les plages
J'ai appris a la connaitre quand elle faisait des rechutes et devait encore supporter une enieme chimio physiquement eprouvante. Que ses cheveux devaient laisser la place a un bandana rouge, avant de repousser de plus belle.
J'ai appris a la connaitre en faisant des soirées qui n'en finnissaient pas, à refaire le monde, toujours un verre a la main. assoifés de l'envie de vivre, ivres du desir de profiter de tout.
J'ai appris à la connaitre lors de discussions troublantes, comme cette fois, ou installés sur une terasse de bar, au bord d'une rivière elle m'a demandé: -Et toi, tu en as peur comment de la mort? -J'en ai tellement peur, que je ne veux pas la voir -Moi elle me terrorise. Plus je la cotoie, plus je l'apprivoise, et plus elle me fait peur. Mais je ne crains plus de la regarder en face.
J'ai appris à la connaitre quand elle s'extasiait sur une fleur, pauvre petite fleur qui avait poussée la par hasard au bord d'une route, et personne n'y avait prété attention. C'est vrai que pourtant elle etait jolie cette fleur, perdue au bord du macadam. Pourquoi personne a part elle n'avait vu a quelle point elle est jolie?. Si elle ne nous avait pas dit de nous arreter, nous serions tous passés a coté de cette jolie vision. Ca aurait été dommage finalement.
J'ai appris à la connaitre au travers de sa peinture, car elle s'est mise a peindre. Très bien même. Sans aucune formation artistique, elle s'est levé un matin, s'est plongé dans tous les bouquins de peinture qui lui tombaient sous la main, et s'est lancée... Avec beaucoup de talent, juste guidée par ses émotions.
Je l'ai eue au telephone il n'y a pas tres longtemps, et ses toiles commencent à bien se vendre, elle est heureuse, sa santé est stable. Elle puise son energie dans sa passion, dans ses créations. Elle crée pour exister, fait un pied de nez à la maladie en semant derrière elle des tableaux, des traces immortelles de sa vision du monde. Des sentiments peints sur la toile, des couleurs, des formes. Ses angoisses et ses bonheurs que ses pinceaux transcendent.
Je l'ai eue au telephone il n'y a pas très longtemps...
Et puis, quelques semaines plus tard, je reçois un coup de fil de C.: -Allo fabien. -Oui, coucou ma C., ça me fait plaisir de t'entendre. Comment va tu? -... Je t'appelle pour t'anoncer une mauvaise nouvelle fabien... ....................................................................................................................
Rechute, poumons atteints, hospitalisation, tiens bon ma puce... detresse respiratioire, affaiblissement, detresse au fond des yeux,accroche toi... intubation, lacher prise, ne pars pas, prend ma main... douleurs, partout, paupières lourdes, regarde nous, bats toi... plus de force, acceptation, des yeux qui se ferment doucement, adieu... douce chaleur, ne plus sentir la douleur, etre bien, enfin partir, elle est partie... Et tout ça en 15 jours .....................................................................................................................
Deux semaines plus tard, échange de mails avec C.:
Bonjour Fabien, la vie semble un peu moins belle quand une personne aussi importante qu'Isa n'est pas là...mais je pense que là ou elle est , elle doit mieux respirer...et nous regarder. Mais j'ai mal Je pense beaucoup à toi, je t'espère en bonne forme et profitant bien de cette nouvelle vie sous le soleil méditérannéen. Je t'embrasse fort, C.
Bonjour C. Excuse moi de ne pas avoir repondu tout de suite à ton message, mais je ne savais pas trop quoi dire, et il m'a fallu un peu de temps... Même si je ne voyais pas beaucoup Isa, c'est quelqu'un qui m'a beaucoup touché dans mon parcours. "Il faut continuer à vivre et à sourire" Si Isa m'a apporté une chose, c'est bien qu'il faut, quoi qu'il arrive, continuer à se batre et à vivre. Profiter de chaque jour. Quand j'ai annoncé à Isa ma maladie, c'etait la premiere personne du goupe à qui je le disais. Parceque je me sentais proche d'elle, de ses doutes, de ses peurs et de sa rage. C'était un soir alors que nous étions tous au BGS, à poitiers. J'étais sorti prendre l'air, et Isa ma rejoint pour discuter. La, je lui ai dis que j'avais envie de lui parler d'une chose me concernant, et je lui ai annoncé que j'étais seropositif. Je garderais toujours en memoire sa reaction, comme si c'était hier: Elle m'a regardé droit dans les yeux, m'a attrapé par le col de la chemise et m'a dit avec colère: "-Putain, pourquoi? t'as pas le droit!!" Elle était folle de rage. Pas contre moi, non, mais contre ces putains de coups du sort qui font basculer des vies dans une lutte sans merci contre des agresseurs invisibles. Elle était bien placée pour le savoir. Elle a ensuite laché mon col, et m'a pris dans ses bras, me caressant le dos. J'ai craqué et fondu en larmes contre son épaule, soulagé de pouvoir me laisser enfin aller et partager un peu de ma souffrance. Elle a pleuré avec moi, non pas des larmes de compassion, mais des larmes d'amitié et de comprehension: c'etait un partage. On est resté comme ça un long moment, dans la rue, dans les bras l'un de l'autre, à laisser couler nos larmes sans retenue. Se reconfortant l'un l'autre, nous epanchant de nos poids respectifs, partageant nos souffrances, si differentes mais si semblables. J'avais trouvé quelqu'un qui me comprenait et dont je comprenais le combat. Avant de rejoindre tout le monde, elle m'a fait promettre une chose: de toujours me battre quoiqu'il arrive, de ne jamais baisser les bras et de profiter au maximum de la vie. Aujourd'hui, plus que jamais, cette promesse resonne en moi. Pour Isa, je continuerai à la tenir, à l'honorer. C'est ma façon de garder Isa dans mon coeur: en ne me laissant jamais aller, en vivant et profitant de chaque instant. Je suis fier d'isa, et je veux qu'elle soit fier de moi, car j'ai maintenant une raison de plus de me battre: pour moi, et pour isa. Son dépard est triste, oui, et j'ai pleuré, mais pour elle, céline, il faut vivre, aimer, profiter et sourire à la vie. Profiter pleinement de la vie ne veut pas dire se forcer à etre heureux et sourire bêtement quoi qu'il arrive. Profiter pleinement de la vie c'est: -Etre soi même -Vivre entirement ses émotions -Pleurer quand on a mal, sans retenue -Rire aux éclats -Sourire aux petits bonheurs qu'on néglige de trop Ouvrir ses volets le matin, et respirer à plein poumons devant ce nouveau jour qui se leve et garder en tête que c'est le premier jour du reste de sa vie. Prendre une minute pour lever les yeux vers le soleil et le laisser doucement nous rechauffer, laisser le vent nous caresser et la pluie nous rafraichir Vivre pleinement c'est aussi aimer, et dire je t'aime aux gens qui comptent, la, tout de suite, sans attendre... La vie est belle malgrès tout... Vis, aimes, profites... pour toi Vis, aimes, profites...pour ne pas laisser vaine et inachevée la lutte d'isa. Vis, aimes, profites... pour tout ce qui reste à venir. Je t'embrasse Je t'aime. Fabien.
Fabien, ton message résonne profondément en moi, je te ressens toi et je ressens Isa...tous les 2 unis dans votre lutte quotidienne pour la vie, la lutte contre cette épée de Damoclès, la lutte qui vous faire embellir notre vie. Isa a embelli ma vie et chacun de tes messages me donne de l'espoir et une énergie nouvelle pour profiter pleinement de chaque minute qui passe. Je te remercie de m'avoir raconter ce moment intense que tu as partagé avec Isa...cela me fait du bien d'entendre parler d'elle comme cela. J'aimerai pouvoir crier combien elle était généreuse, aimante, battante, joyeuse, fantaisiste et parfois capricieuse et combien je suis fière de ce qu'elle a fait de sa vie (et de la mienne). Je l'entends encore dire de toi avec une voix pleine de tendresse et d'admiration (c'était le soir de ma thèse) : " C'est vraiment un gentil garçon , ce Fabien" Elle savait ce que tu vivais, vous vous compreniez, elle te comprenait. . Merci.Je t'embrasse, je t'aime, C.
Et je l'ai eue au telephone , il n'y a pas tres longtemps....
J'ai eu mon frère au téléphone aujourd'hui. Et il va bien, merci!! Ce week-end, il a regardé ses DVD préférés du moment: "L'âge de glace" et "Van Helsing" je crois. Il a aussi écouté ses CD préférés du moment: "Star Ac'4" si je suis à jour. Et puis il a joué avec le chien, mais au bout d'un moment il a du arrêter parce qu'un chien quand ça joue trop, des fois ça mord un peu et ça fait mal. Mais bon, c'est comme ça, c'est pour jouer, faut pas le gronder le chien, il voulait pas faire mal. Et puis c'est tout. Ah non..., il est aussi allé chez le coiffeur samedi matin: "-Moi, je voulais pas trop y aller, mais c'est maman qui m'a emmené. Sans mes cheveux, j'ai froid aux oreilles. Je le savais que j'aurai froid aux oreilles. Je lui ai dis à maman que je ne voulais pas y aller chez le coiffeur. Elle m'a dit qu'il le fallait parce que la, mes cheveux, ça commençais à être un peu n'importe quoi et que je ressemblais à un indien. Moi, j'aime bien ressembler à un indien, c'est marrant. Et puis, un indien avec les cheveux courts, c'est plus un indien. Les cheveux au moins, ça tient chaud. Maintenant, quand je sors de la maison, j'ai froid aux oreilles. Ça commence par picoter un peu en haut des oreilles, et puis après, je les sens plus trop. Par contre, quand je rentre dans la maison, elles se mettent à chauffer et à devenir toute rouges. Ça m'inquiète un peu quand ça me chauffe comme ça, mais maman, elle dit que c'est normal: c'est parce qu'elles ont eu très froid. N'empêche, moi ça me parait bizarre que le froid ça brûle comme ça...."
Enfin bref, mon frère va très bien. Ça me fait du bien de l'entendre raconter ses petites histoires, sa petite vie. Comme j'aimerai retrouver un peu de cette innocence, de cette naïveté qui fait que chaque moment que l'on vit est source d'émerveillement et de découverte? Pourquoi est-ce que grandir et devenir un homme mon fils, doit s'accompagner de la perte de cette innocence au profit de la conscience ininterrompue des soucis que l'on se crées? Pourquoi ne peut-on pas devenir devenir un homme responsable et croire encore au père noël? Comme j'aimerai vivre sans avoir la conscience de tous mes soucis, ou sans m'en fabriquer d'artificiels, qui m'alourdissent encore un peu plus. Pourquoi est-ce que l'on vit le moment présent en pensant à la façon dont on va rembourser la prochaine mensualité du crédit de la jolie voiture, alors que: " regarde papa, dans le ciel, ce nuage, il est joli, il ressemble à un ours en train de manger un pot de miel. Mais regarde papa, regarde dans le ciel. Pourquoi est-ce que tu fronces les sourcils en regardant la voiture, papa??"
Moi aussi, j'aimerai bien être un indien de temps en temps, et regarder plus instinctivement ce nuage qui ressemble à un ours en train de... Ah non, il a changé de forme le nuage. Maintenant, c'est une locomotive sautant par dessus une barrière....
"-Oui, mais... me direz-vous, tout ça, c'est quand on est encore que des enfants. Ensuite, on grandit, on change, on perd ses illusions. C'est comme perdre sa virginité, ça vous arrive un jour, on ne sais pas trop comment, et ensuite on ne voit plus les choses de la même façon. C'est comme ça, on n'y peut rien. On devient "grands", avec des préoccupations de "grands". On ne peut rien faire contre ça. Malgré nos envies passagères de retrouver notre âme d'enfant, on n'arrivera jamais totalement à se persuader que le père noël existe peut être vraiment finalement. Devenir adulte, c'est inévitable et irréversible. tu verras, ton frère aussi, il va grandir...."
Ahhh!! j'ai peut être oublié de vous préciser une chose: mon frère à 22ans. Même quand il aura 30, 40, 60 ans, il aura toujours envie d'être un indien, ou de se mettre à quatre pattes pour jouer au chien qui secoue un torchon dans sa gueule. Il sera toujours un enfant de 10 ans. Tout ça parce qu'il y a bien longtemps, au moment de sa naissance, il y a eu comme un problème.... Il aura suffit qu'a ce moment la, pendant quelques secondes, son corps ne soit plus alimenté en oxygène, pour que sa vie durant il reste un enfant et ne connaisse pas les "joies" de devenir adulte..
Certains, adeptes du politiquement correct, diront qu'il est "déficient intellectuel" D'autres, diront simplement qu'il est handicapé mentale, attardé, ou même débile. d'autres encore ne diront rien, mais détourneront le regard en le croisant, gênés, se chuchotant juste à l'oreille: "regarde, c'est un handicapé, il est pas normal" Pour ma part, quand on me pose la question, je dis simplement que c'est un enfant de 10 ans , et que grâce à lui, j'ai l'impression de ne pas vieillir puisque mon frère aura toujours 10 ans.
Je ne l'ai pas toujours aussi bien vécu,loin de la. Quand il est né, j'avais 7ans. Je m'en souviens encore très bien. J'avais été confié à mes grand parents quand il parut nécessaire que ma mère soit hospitalisé pour l'accouchement. J'ai sept ans, et il me tarde d'avoir ce petit frère. Plutôt que de l'impatience, c'est plus de la curiosité. Il est près de huit heures du soir quand le téléphone sonne chez mes grands parents: je suis tout excité, et je sautille autour de ma grand mère qui décroche. C'est mon père, au bout du fil. Ça y est, il est né. Il s'appelle benjamin.... Je sautille deux fois plus. Et puis la conversation s'éternise, et puis le sourire de ma grand mère s'efface peu à peu, laissant place à deux sourcils froncés, et des yeux brillants. Je ne saisi pas ce qui se dit, mais il se passe quelque chose d'anormal....je le sens. Mon grand père me fais sortir de la pièce. Je suis seul dans le salon maintenant. Debout sur la pointe des pieds, je regarde par vitre au verre dépoli. Je ne vois que les formes troubles de mes grands parents, et les bruits étouffés de leur conversation avec mon père. Il se passe quelque chose d'anomal. C'est pas comme ça que ça se passe normalement quand un enfant naît... Le clic du téléphone qu'on raccroche, les formes qui se rapprochent de la porte. Je cours m'asseoir dans le canapé, et je regarde mes grands-parents entrer dans le salon. Mamie s'essuie les yeux: une poussière dans l'oeil me dira-t-elle. Je n'ose pas leur demander ce qui se passe. Je glisse juste un timide: "Alors, il est né mon petit frère?" "oui, ça y est, il est né." Un silence, puis: "tout va bien". C'est tout ce que j'aurai comme explication de la part de mon grand-père. Quant à mamie, elle ne dira rien à cause de cette poussière dans l'oeil qui l'empêche de parler. Mais je sais bien que tout ne va pas si bien que ça.
Benjamin est resté à l'hôpital un bon moment. "parce que les médecins veulent le surveiller, et s'assurer que tout va bien. Tu sais, quand un enfant arrive un peu en avance comme benjamin, il faut faire attention à lui, plus que pour un enfant normal... enfin, un enfant qui arrive à l'heure, je voulais dire...Mais ça va, tout va bien" Tout va bien??? Alors pourquoi tu pleure si souvent maman? Pourquoi tu as l'air si triste papa?? Et pourquoi tu fais semblant de rien quand j'entre dans la pièce? Pourquoi tu te crois obligé de me dire tous les jours, dans une parodie d'homme heureux qui ne trompe personne:"ça y est, demain, benjamin revient à la maison, il sort de l'hôpital. c'est chouette hein?" Oui, c'est chouette, mais j'ai du mal à te croire quand derrière ce grotesque masque de joie perlent des larmes qui n'ont rien de bonheur.
Mais il n'a pas menti papa. A force de me dire tous les jours que mon frère allait rentrer à la maison, c'est arrivé. Mais, il fallait faire attention quand on le touchait. Ma mère, comme une louve, le protégeait, le veillait, ne s'éloignait jamais bien loin. On a fini par me dire qu'il serait diffèrent, mon frère. Mais ça, je l'avais bien remarqué. Il avait une grosse tête. C'est vrai, elle était vraiment grosse par rapport à son corps.Trop. Je l'ai bien fait remarqué à mes parents que c'était drôle une tête aussi grosse. Ma mère n'a pas répondu. C'est parce qu'elle ne pouvait pas parler à cause du chat qu'elle avait dans la gorge.