Imaginez que l’on vous dise que vous n’avez pas le droit d’aller dans tel ou tel pays sous le prétexte que vous représentez une menace. Imaginez que des banques refusent de vous accorder un prêt parce que c’est trop risqué. Imaginez que certains professionnels de santé vous refuse des soins parce qu’ils estiment que vous êtes dangereux. Imaginez que l’on vous insulte ou que l’on rechigne à vous serrer la main parce qu’on a peur de vous. Imaginez que l’on vous refuse un poste en vous disant que vous n’êtes pas fiable. Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres dans une bien top longue liste. Mais imaginez déjà tout cela, sachant que vous n’êtes ni terroriste, ni malhonnête, ni délinquant, ni même quelqu’un de foncièrement méchant. Vous êtes juste un individu lambda. Imaginez vous tout cela et ensuite, demandez vous quelles pourraient être vos réactions.
Toutes ces situations, je les ai déjà vécues. Parce que je suis
séropositif. Cruelle et insidieuse ironie pour ce que j’ose appeler ma double
peine. Comme si cela ne suffisait pas en soi il faut aussi supporter un monde
qui, non content de vous rappelez à longueur de temps que vous n’êtes
« qu’un malade », vous culpabilise de l’être.
Il y a pourtant un moyen simple d’échapper au problème me direz vous : « garde ça pour toi, et ne dis rien ». En effet, je pourrai ne pas le dire. Je pourrai le taire. Je l’ai d’ailleurs fait par le passé en de nombreuses occasions. Et il m’arrive encore de mentir par omission en passant sous silence ce petit détail.
Mais mentir ne fait que renforcer le tabou et la peur qui subsiste toujours autour de cette maladie. Mentir, c’est cacher quelque chose. Cacher quelque chose induit la suspicion, un sentiment de culpabilité dans l’inconscient collectif et un sentiment de honte personnel. « Si tu cache quelque chose, c’est que tu te sens coupable, c’est donc suspect ». Je ne suis coupable de rien, et je n’ai pas à avoir honte d’être malade. Pas plus que quelqu’un atteint d’une autre maladie comme un cancer ou d’un mal plus bénin comme un rhume.
Seulement voilà, le vih n’est pas une maladie comme une autre. Elle à ceci de différent qu’elle touche au secret de notre plus profonde intimité. Au sang et aux fluides sexuels, ces liquides corporels qui nous sont si viscéralement personnels. Ils provoquent autant la répulsion que la fascination car ce sont nos plus intimes constituant en même temps que les seuls capables de se déverser en dehors de nous. Le sang symbolise la violence, le sperme, la sexualité. Sexe et violence sont deux des plus vivaces tabous de l’Homme. Et ce sont malheureusement grâce à ces fluides associés a des tabous séculaires que cette maladie incurable se transmet. C’est sa plus grande force. Elle profite du silence gêné et culpabilisant induit par ses vecteurs de transmission.
Je suis séropositif. Je n’en suis ni fier ni honteux. Je suis juste séropositif. Je le dis avec autant de simplicité que possible, sans vouloir me poser en victime et sans volonté de provocation. Ce n’est jamais facile à dire, mais j’espère que ça le deviendra un jour, pour moi et tous les autres. En attendant, je n’ai pas envie de le cacher.
Ce n’est pourtant jamais facile à dire parce que c’est se mettre à poil devant les autres, c’est attendre un verdict, soumis aux regards qui vous scrute en essayant d’y lire la haine, la peur, la compassion ou l’empathie.
Ce n’est jamais facile à dire parce que c’est s’offrir sans défense à un jugement biaisé. Quoi que l’on dise de soi, on ne retiendra souvent que le mot « séropo ». Oui, je le suis, mais je ne suis pas que ça. Je suis un mec qui rie, et un mec qui pleure, aussi. Un mec sensible. Un connard, un gentil connard, un gentil aussi. Un mec qui baise, et qu’on a souvent trouvé baisable. Un mec qui aime. Un mec qui un avis sur le monde, parfois stupide, parfois intelligent. Un type qui traîne les pieds en ronchonnant quand il essaie de se motiver à faire du sport, mais un champion du monde pour s’enfiler une tablette de chocolat et culpabiliser après. Je ne suis qu’un Homme, mais j’en suis au moins un, dans sa toute sa complexité.
Voilà, je te le dis, à toi qui croise mon chemin : « je suis séropo », je suis debout devant toi et je me fous à poil, sans défense, sans fard, n’ayant que mes mains à mettre devant un sexe qui n’en touchera jamais plus un autre qu’au travers d’un bout de plastique. Voilà, tu le sais, maintenant, fais en ce que tu veux. Fusille moi de ton dégoût. Inonde moi de ta compassion qui me donne la nausée. Prends le large et rame loin de moi avec ta peur pour seule pagaie. Prend moi dans tes bras et dis moi que tu m’aime quand même. Aime moi. Déteste moi pour t’avoir rappelé que le sida, ça existe encore. Fais ce que tu veux, c’est ton droit, ta responsabilité. La mienne, c’est d’être honnête.
Il est des nuits sans sommeil ou je me demande qui je serai aujourd’hui si ma vie n’avait pas basculée il y a dix ans de cela. J’ai su que j’étais séropositif en décembre 1999. La même semaine une tempête nommée Lothar frappait la France. Elle balayait tout sur son passage tandis qu’une tornade obscurcissait mon horizon en emportant mes certitudes. Ma tempête intime fut moins spectaculaire, mais plus dévastatrice : Les prairies refleurirent avec le printemps, pas mon espoir. Ma reconstruction fut plus longue et les cicatrices sont encore présentes.
A 20 ans, j’étais naïf et immortel. Avoir 20 ans c’est ne pas savoir qu’on doit mourir un jour. Moi, Je l’ai appris trop tôt, à l’aide d’une grande claque dans la gueule. J’ai cru que la sentence serai immédiate. Que j’allais y passer le lendemain, ou bien le surlendemain, ou peut être avec de la chance, celui d’après. En tout cas j’étais persuadé que mes jours étaient comptés. Et puis j’ai fini par comprendre que le « demain » fatidique viendrai, mais pas tout de suite. Car je suis un séropositif de pays riche. C’est une espèce ayant la chance d’avoir accès à des traitements qui maintiennent en vie, à la différence des séropositifs des pays pauvres n’ayant pas le privilège de connaître ce sursis.
Dans les premiers temps, j’ai gardé ce secret pour moi. J’avais honte d’abriter un tel monstre. Et puis j’ai eu besoin de le dire. Au début, je l’avouais à demi-mots, comme une faute. Puis, au lieu de l’avouer, je l’ai simplement dis car ce n’est pas une faute. Il m’a fallu du temps pour en arriver la. Et il m’en faudra encore pour ne plus ressentir ce pincement désagréable au cœur lorsque je l’annonce.
Depuis longtemps, j’ai du mal à me regarder dans la glace. Je le fais uniquement pour des considérations techniques, en me focalisant sur des détails. Lorsque je me rase, je fixe la peau de mon visage. Lorsque je me coiffe, je regarde mes cheveux. Lorsque je m’habille, je surveille mes doigts boutonner ma chemise. Avant de sortir, je jette un coup d’œil dans le miroir pour jauger de l’accord des vêtements et pour vérifier si rien ne cloche. Je regarde toujours les détails, mais plus la globalité.
Hier cependant, j’ai eu envie de me regarder. Je me suis arrêté devant la glace et je me suis forcé à regarder ce garçon qui me faisait face. Physiquement, en dix ans, je n’ai pas tellement changé. Quelques rides au coin des yeux peut être. Un regard un peu désabusé dans lequel la flamme et la fougue de la jeunesse sont un peu moins brillants. Un ventre un peu moins ferme qu’avant j’en ai bien peur. Mais dans l’ensemble, je me suis reconnu. C’est bien moi. Et pourtant même si elle n’a laissée aucune trace physique perceptibles, la maladie m’a infligé des cicatrices invisibles, moins palpables mais tout aussi difficilement supportables.
Je ne parle pas des dix ans de médicaments dont le nombre quotidien est descendu de 17 à 3 au fil des ans, et qui continuent pourtant à me réserver leur lot d’effets secondaires certes usant, mais gérables.
Je ne parle pas non plus de la fatigue frustrante et presque omniprésente que je combats parfois stupidement en me plongeant dans le travail jusqu'à épuisement, pensant me prouver ainsi que je serai le plus fort.
Je ne veux pas parler de tout cela, mais plutôt du sentiment de culpabilité crasseux qui me serre les tripes quand je vois les yeux tristes de mes parents s’inquiétant pour moi. Le moment ou j’ai du leur annoncer restera à jamais gravé au fer rouge dans ma mémoire meurtrie.
Je veux aussi parler de ce moment ou deux paires d’yeux brillent de s'être croisés et brulent d’envie, d’excitation ou d’amour. Avant de céder à la découverte charnelle, il y a le délicat moment du « il faut que je te dise un truc » qui me donnent à chaque fois l’air terrifié d’un môme de quatre ans qui a la trouille qu’on ne l’aime plus.
Je veux parler enfin de cette putain de sensation de donner du grain à moudre à tous ces Cul-Serrès qui pensent que "sida = pédé". J’en crève de me dire que je ne fais que les conforter dans leur fausse idéologie et je dois parfois réprimer ma honte mal placée de ne pas faire honneur à une communauté de cœur en n’étant pas un bon exemple. Je n’ai pas honte d’aimer les hommes. Je n’ai pas honte de prendre du plaisir et d’en donner à chaque fois que je tombe amoureux. Et surtout, je n’ai pas honte d’avoir par amour, frotté ma peau contre celle d’un autre homme, même s’il m’a donné un virus dont je ne me débarrasserais jamais. J’aurai bien évidemment préféré que cela se passât autrement, mais on ne refait pas le passé. Il ne sert à rien de regretter. Tout au plus, je suis responsable d’avoir été naïf et insouciant, mais je ne suis coupable de rien. En revanche j’ai honte que ma maladie puisse être utilisée par des humains pour en stigmatiser d’autres. J’ai honte que des hommes ou des femmes, au lieu de se serrer les coudes, se tournent le dos et aient peur les uns des autres.
Je ne suis qu’un Homme. Je m’appelle Fabien et je suis
séropositif. Mais je suis bien d’autres choses. Je suis bien plus que "ça". Aimez moi, détestez moi ou ignorez moi, finalement cela importe peu mais choisissez pour d'autres raisons que la présence de mon ennemi intime, hébergé bien contre mon gré.
Commentaires