Réflexions sans importances en écho au précèdent article.
Bien des années plus tard, alors que j’avais bien grandi, et mon frère pas vraiment, j’ai un peu compris comment cet épisode (et bien d’autres) avaient fait de moi ce que je suis et m’avaient construit. Je suis perpétuellement dans le non jugement d’autrui.
Jamais on ne m’entendra dire « putain t’as vu comme il est gros lui » « Mais qu’est ce qu’il est mal habillé » ou « Mais c’est pas possible d’être aussi moche ». Même si la personne concernée ne m’entend pas, même si c’est devant la télé entre copains, et qu’au fond ça ne blesse personne, j’ai du mal à être dans le jugement.
Non pas que je me censure sous couvert d’une hypocrite bonne morale ou que je sois un cul serré adepte d’un politiquement correct risible de bêtise (qui transforme une pute en « travailleuse du sexe », un jardinier en « animateur d’espaces vert » ou un chômeur en «chercheur d’emploi »), mais tout simplement parce que ça ne me traverse même pas l’esprit. L’habitude d’avoir été confronté au jugement des autres et à la stigmatisation de la différence m’a modelé et construit ainsi. Un frère handicapé, un père dépressif chronique, mon homosexualité et ma séropositivité sont autant d’épreuves, si tant est que l’on puisse parler d’épreuves, qui ont développée une hypersensibilité, usante, à la moindre réflexion pointant du doigt un écart à la norme sociétale. Ce qui fait qu’aujourd’hui, je ne vois pas de gros, de moches ou de personnes mal habillé, je vois juste des gens, tous différents. Et bien souvent, ce sont les réflexions que j’entend autour de moi qui me font réaliser qu’ils sont peut être gros, moches, ou mal habillés. Et ces réflexions la, souvent lancées de façon anodines et sans forcement teintées d’arrières pensées, me touchent et me gênent beaucoup plus que de raison. Cet état d’esprit explique aussi peut être pourquoi certaines rencontres qui ont jalonnée ma vie restent tendrement inscrits dans ma mémoire. J’ai toujours été attiré par les gens différents, hors normes, en marges, peu importe comment les qualifier, ce qu’ils ont en communs étant qu’ils sont humains, dans toutes leurs contradictions et leur souffrance. J’ai connu une vielle pute tordante de drôlerie qui cachait une histoire bouleversante sous son sourire provoquant. J’ai connu un ex voisin sorti de prison pour une sombre histoire de drogue en pleine reconversion dans le porno gay parce qu’il lui semblait que c’était un « honnête moyen de gagner sa vie ». J’ai connu un jeune couple de SDF avec leur chien qui de squat en bout de trottoir ne renonçaient pas à se dire que demain ça irait mieux. J’ai connu un travelo, chercheur d’emploi le jour et arpentant un bout du boulevard la nuit, pour soulager dans leur voiture, en 5 minutes et 50 euros, les bons pères de familles insomniaques. J’ai aimé connaître ces gens, et les entendre me raconter leur histoire. Et paradoxalement, je me sens à l’aise avec eux et j’en ai moins peur que des « normaux » qui ont travail, maison, chien-chien, un marmot à élever, un deuxième en route, et le dimanche occupés par le gigot dans la belle famille. Alors que je suis loin d’avoir une vie aussi décalée, je me sens proche d’eux. Peut être aussi parce que, tout comme eux, j’erre dans la vie sans parvenir à trouver ma place dans la société.
Cette empathie incontrôlable me désespère, et il me prend parfois l’envie d’être méchant et intolérant, juste pour voir ce que ça fait. Ca doit être plus reposant.
Sinon, il m’arrive de dire « gros pédé », mais c’est parce que j’en suis un et que dans ma bouche c’est affectueux. Et aussi beaucoup plus court que de dire « personne pas nécessairement en surcharge pondérale mais ayant une grosse tendance à aimer les pratiques sexuelles avec une autre personne du même sexe ».
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