Ce soir, deux ou trois épisodes de séries U.S. fraîchement téléchargés à la source. Puis, café clope. Leur fumée se mélangent en montant à l'assaut du plafond tandis, qu'adossé à la baie vitrée, je regarde les toits émergeant des arbres. Et la mer au loin...
Sur leurs accords respectifs, les voix torturées de Lou, Rufus, Damien, Leonard et Nick se succèdent pour me tenir compagnie et combler le silence. Dans la faible lumière tremblotante des bougies, je contemple le monde qui s'assoupit peu à peu après une journée d’agitation. De la rue monte un miaulement rauque: un mâle fait la cour à une chatte, superbement dédaigneuse, trônant sur le toit d’une voiture au milieu du halot d’un réverbère. Par les fenêtres encore éclairées des maisons que je surplombe, je devine des corps en ombre chinoise qui se découpent dans les petits carrés de lumières. Ombres solitaires dans la clarté bleutée et tremblotante du poste de télévision, ombres penchées sur les lavabo dans l’éclat jaune et blafard du plafonnier des salles de bain, ombres floues dans les reflets tamisés des lampes de chevet des chambres à coucher. Dans la pénombre de mon appartement surplombant le monde, je le regarde entrer en léthargie.
Je suis seul ce soir. J’allume une autre cigarette, peut être une des dernière puisque demain j’ai rendez vous avec mon tabacologue pour un renoncement programmé, volontairement forcé et forcement volontaire, de ma vie tabagique.
Oui, j’ai un tabacologue. Une des personne qui compose l’équipe de “coach”, trié sur le volet, chargé, selon leurs compétences spécifique de me guider et de m’éclairer sur la voie d’une vie parfaite... Alléluia .
J’ai un tabacologue pour arrêter de fumer, un virologue pour arrêter de mourir, un entraîneur sportif à ma salle de sport pour être en forme et en formes, une psy pour me faire croire que je peux me comprendre, et tout comprendre... Enfin bref, une cohorte de spécialistes à mon service pour me dire ce que je devrais faire, et comment je devrais le faire. Et moi au milieu, régnant en monarque éclairé sur ma vie, je détiens le pouvoir suprême d’appliquer, ou pas, les bonnes paroles qui me sont prodiguées. J’ai la science diffuse. Dans le doute et avec nonchalance, je me laisse parfois guider sans me poser de questions. J’ai aussi parfois des velléités d’indépendance absolue qui me font leur dire d’aller se faire foutre en faisant, à contre courant des avis, ce que j’estime être bon pour moi. Entre les deux extrêmes, je trace ma route.
Dehors, presque toutes les lumières se sont éteintes. Le monde dors, et je vais bientôt l’imiter. Je souffle les bougies et vais me glisser dans les pages du “demon” de Hubert Selby Jr en attendant le sommeil. Sur la table du salon, j’ai laissé une liste des choses à ne pas oublier demain:
- Rendez-vous avec le tabacologue
- Acheter Charlie-Hebdo parce que...
- Passer à la salle de sport
- Passer faire deux trois courses pour le trajet en bagnole de 600km qui m’attend Jeudi
- Recharger la batterie de mon appareil photo
J’ai coincé la liste sous le cendrier, pour ne pas qu’elle s’envole...