Parfois, il suffit juste d'un geste pour qu'on se souvienne d'une personne toute sa vie.
Un petit geste: exactement celui qu'il faut au moment ou il faut.
Parfois, quand une personne que l'on a jamais vu avant et que l'on ne reverra jamais vous pose une main sur l'epaule, on lui en est reconnaissant à jamais.
Decembre 1999, je viens d'avoir 24 ans il y trois mois. Noël approche. Je suis assis dans une salle d'attente austère d'un Hopital. Je feuillette un magasine qui traine en m'impatientant un peu. Le medecin est en retard. Je suis pas fan des hopitaux: je viens d'y passer trois jours le week-end dernier, et j'aimerai bien me casser d'ici, et ne plus en entendre parler (Si je savais...)
Ca faisait trois semaine que j'etais malade, et j'allais mieux, même si j'avais du en passer par un petit sejour à l'hopital via les urgences.
"-C'est une cochonnerie de bacterie que vous avez attrappé, ça ne fait aucun doute. Avec le traitement qu'on vous a donné, ça va aller vite pour vous retaper. On vous laisse sortir, mais vous revenez en fin de semaine pour etre sûr et voir les bilans definitifs"
On est vendredi, et je reviens comme promis pour une derniere visite avec un medecin hospitalier. Je suis soulagé que tout rentre dans l'ordre.
C'est vrai quoi!!! j'ai toujours eu une santé de fer. Jamais malade, à part les petits rhumes en hiver que je soignais à coup d'aspirine.Et la, ça faisait trois semaine que je me trainais une saloperie, mais ça se tassais. Tant mieux. J'allais pouvoir reprendre ma petite vie d'etudiant avec mon homme et mes copains.
La porte du box de consultation du Dr T. s'ouvre et la laisse apparaitre, se tenant le dos, enceinte jusqu'aux dent.
-Monsieur P.?
-Oui, je suis la.
Elle me fait un petit sourire. Je lui rend.
-Veuillez entrer je vous prie.
J'entre et m'installe sur un des deux sieges faisant face à son bureau.
Elle s'installe laborieusement sur son fauteuil, embarassée par un ventre énorme qui l'empeche de fermer sa blouse.
Je suis detendu, plutôt à l'aise face à cette femme. Son état me fait presque oublier que c'est un médecin que j'ai en face de moi, et je lance la conversation sur l'heureux évenement qui se prépare.
-Et bien, vous avez l'air bien accompagnée dites moi, dis-je en souriant comme un benêt. Il va bientôt etre la apparemment.
-Oh oui, lançe-t-elle dans un soupir, l'air de dire: "j'ai hâââââte..."
-Et vous continuer à travailler?
-Oui, mais je m'arrete dans deux semaines... je...
elle ne termine pas sa phrase, triturant quelques feuillets de mon dossier qui est étalé devant elle. Je la sens un peu troublée. Sentiment que j'attribuais à tord à sa géne de parler de sa grossesse devant un patient.
Ne voulant pas l'indisposer davantage, je la regarde en souriant et change de conversation:
-Alors docteur, ces résultats? Vous savez enfin ce que j'ai eu ou ça restera un mystère?
Un petit silence, elle prend sa respiration et:
-Oui, on a vos resultats... et ce n'est pas tres rejouissant.
Elle me regarde. Je la regarde, mon sourire se fige. Je sens qu'il se passe quelque chose. Elle continue:
-Vous êtes seropositif et vous avez declanché une primo-infection, signe que votre systeme immunitaire s'est mis a reagir violemment à l'entrée du virus dans votre corps.... Vous av....
Je ne comprend pas, je ne comprend pas ce qu'elle me dit
-... et donc une charge virale tres elevée, ce qui veut dire qu'il y a beauc...
Je ne comprend pas, je n'entend plus ce qu'elle me dit.
-... ce qui explique les symptomes que vous avez eu, et....
Je la coupe
-Excusez moi, mais de quoi parlez vous? Je suis quoi? j'ai quoi?
-Vous...vous etes seropositif au V.I.H
Je la regarde sans pouvoir dire un mot. j'ai horriblement froid tout d'un coup. Je ne peux plus bouger, je ne peux plus parler, je bascule dans une autre dimension. Mes épaules s'affaissent, je pèse mille tonne. je n'entend plus rien. Rien à part ces mots qui resonnent de tous cotés : "VOUS ETES SEROPOSITIF, VOUS ETES SEROPOSITIF, VOUS ET..."
....
-ca va?... vous voulez un verre d'eau?
Je n'en sais rien.
-Attendez moi, je vais vous chercher un verre d'eau, je reviens.
Je ne dis rien, je la vois se lever, je ne pense a rien.
En passant a coté de moi pour aller vers la porte, elle s'arrete une seconde et pose sa main sur mon épaule, sans rien dire.
Je sens son contact, je ne bouge pas. Les yeux fixés sur le fauteuil qu'elle vient de quitter, je regarde le coussin du dossier reprendre sa forme, liberé du poid de son dos.
Sa main ne reste la que quelques secondes, pudiquement posée. Geste non-professionnel de compassion, mais terriblement affectueux.
Elle quitte la piece et me laisse seul, je sens toujours la chaleur de sa main....j'ai envie de pleurer.
Un quart d'heure plus tard je suis sorti. Je me retrouve devant l'hôpital. Je suis seul, je suis effrayé. j'essaie de me souvenir ou est garé ma voiture, et comme un pantin je marche vers elle.
je marche vers la suite, vers ce demain qui ne sera pas.
Une femme qui s'apprete à donner la vie vient de me mettre face à ma mort.
J'ai envie d'une cigarette, je tremble tellement que je n'arrive pas allumer mon briquet.Je m'y reprend à plusieurs fois. Putain de briquet!!! je n'y arrive pas et me mets à pleurer de rage.
Je pleure parce que ma vie vient de basculer, parce que j'ai peur, parce que je ne savais pas qu'un jour on devait tous mourir.
Et puis je pleure parce que dans une semaine c'est noël, dans deux semaines on change de millenaire.
Et puis ce putain de briquet qui ne marche pas...
Et puis merde...
... Joyeux noël, et bon millenaire. Toutes mes félicitations pour votre bébé, madame...
C'est étrange comme les choses se ressemblent.
Je te fais un copier-collé de ce que j'ai écris sur un autre blog (Entre deux, lisible sur http://20six.fr/essayerencore)
"Je me souviens...
Je me souviens de cette salle d'attente où j'ai eu le sentiment de me croiser lorsque j'y suis entré.
C'était le 26 mars 1993, il y aura bientôt dix ans... Encore un non-hasard.
Cette salle d'attente, à Saint-Etienne, avec les fauteuils de jardin ALLIBERT en plastique blanc.
Je me souviens...
C'était une ancienne chambre du dispensaire anti-vénérien qui avait été repensé en salle d'attente. Le glauque n'a jamais atteint le sommet de la décoration de cette salle d'attente...
Un mois plus tôt, j'étais déjà venu, la peur au ventre, faire le test. La veille, à la télévision, Pascal de Duve disait que les séropositifs voyaient des couleurs que personne d'autres ne pouvaient voir. Cargo Vie. Cyril Collard agonisait. Hervé Guibert était déjà mort, comme Foucault. Moi, j'étais en province, je rêvais de Paris, et je m'ennuyais.
26 mars 1993.
Mécaniquement, je feuilletais Paris Match (un vieux numéro) qui faisait sa Une sur la mort de Jacqueline Maillan. Tout est demeuré précis. La porte qui s'ouvre. L'infirmière qui vient me chercher. Le docteur Le P., la stature altière et le crâne chauve qui avait posé son imper beige sur un méchant perroquet. Une enveloppe kraft sur le bureau.
Une feuille blanche avec un tableau. Des signes "moins" partout, sauf dans une case : un +, une croix. J'avais compris ce que je savais déjà.
Et le toubib de me direavoir dépisté un "profil de début de séroconversion" (je me souviens des mots). Circonvolutions incompréhensibles.
Ca veut dire quoi ? Je suis séropo ou pas ? Le toubib est blême. Moi, je n'ai plus une goutte de sang qui circule dans mon corps.
On fait quoi ?
Je n'ai plus de jambes.
J'ai 23 ans. Je suis un gamin. Je suis paumé. J'ai peur. Je suis resté silencieux.
Glacial.
Mais presque soulagé. Choqué ? Affecté ? Je ne sais plus. Le toubib avait un autre rendez-vous après (soulagement - le sien -). Il m'a filé le numéro d'une assistante sociale. Au revoir Monsieur, merci, au plaisir...
Je me souviens.
Ca ne s'oublie pas.
C'était en province, en 1993...
Je trouve ça pathétique d'écrire ce moment, de l'écrire comme ça. Je l'ai écrit des dizaines de fois, mais toujours de la même façon, avec la même théâtralité... Ca devait vraiment être comme ça.
C'était en province, en 1993. On crevait du Sida, et c'était presque devenu à la mode. A Paris, les folles d'ActUp se couchaient dans les rues, avec des tee-shirts "sida is disco"...
Ca ne s'oublie pas.
Quand toi, tu crois être à 500 bornes du centre de ta vie, que t'es un gosse, que tes parents sont des vieillards avant l'heure, que tu te sens une folle, toi aussi... Tu pètes un câble.
J'ai pété un cable que je n'ai jamais pu ressouder. Aujourd'hui, j'assume.
J'essaie. "
Rédigé par : phil | samedi 29 janvier 2005 à 15:12
félicitations , très bien écrit. continue. cela te fera beaucoup de bien et en plus c' est moins cher qu'une psychothérapie.Vive la bloggothérapie.
Rédigé par : lunatix | samedi 29 janvier 2005 à 23:00
Salut !
Ce que tu écris m'a beaucoup ému.
(même si, contrairement à ce que dit Lunatix, il n'y a pas de "bloggothérapie" - mais souvent au contraire, bien des fantasmes et des frustrations qui s'accumulent, et qui restent).
Mais toi, tu écris les choses d'une façon douce, simple, honnête. Tu n'attaques personne, ton discours semble dépourvu d'animosité... ça te rend d'autant plus touchant. (ta photo, où tu paraîs jeune et sensible, accentue cette impression).
Face à l'absurdité et à l'injustice de la vie, on dirait que tu veux te mettre à nu complètement
(c'est peut-être en partie lié à ton analyse).
Du coup, et paradoxalement, ça nous renvoie un peu à nous-même, on se trouve nul.
En tout cas, j'espère que ce n'est pas à cause de l'effet de nouveauté du blog, que tu t'exprimes d'une façon si touchante. :)
Je te souhaite de retrouver bientôt le bonheur et l'apaisement que tu recherches !
(et continue ton analyse, les psys peuvent être cloches des fois, mais leur écoute est neutre, dénuée de bons ou de mauvais sentiments, et c'est une expérience utile)
Baptiste
Rédigé par : babar | dimanche 30 janvier 2005 à 20:00
Quand je suis allé chercher les résultats la dernière fois, je me suis demandé comment ce médecin pouvait me l'annoncer justement. Il ouvre son enveloppe devant moi, comme s'il allait nommer un prochain césar de je ne sais quoi. Et à ce moment là, je me demande bien la tête qu'il m'aurait tirée pour dire que je l'avais chopé. De toute façon, il n'y a certainement pas de bonne manière...
Rédigé par : Matoo | dimanche 30 janvier 2005 à 21:21